Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t4.djvu/116

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Les causes d’erreur sont nombreuses. L’une des plus générales, c’est le goût de l’extraordinaire. S’il s’agit surtout du passé, l’éloignement le grandit ; l’imagination le transforme ; le merveilleux (τὸ μυθῶδες) s’en empare. Thucydide, grâce à son principe fondamental que les lois des choses sont toujours les mêmes, n’a pas de peine à se préserver de cette cause d’erreur. Il dépouille hardiment le passé de son auréole. Il le voit soumis aux mêmes nécessités, aux mêmes misères que le présent, avec cette circonstance aggravante que, le progrès étant l’œuvre lente du temps[1], les origines en toutes choses doivent être plus faibles, plus petites que ce qui vient après. La Grèce d’Homère n’a pas été telle que les poètes la chantent : c’est la Grèce de Péricles qui est relativement grande et florissante ; celle d’Agamemnon, quoi qu’en disent Homère et tous les poètes, ressemblait sans aucun doute aux parties les plus rudes et les moins civilisées de la Grèce du Ve siècle. Toute cette critique d’Homère et de l’épopée, par où débute la préface de Thucydide, est admirable de vigueur et de hardiesse. Les conclusions auxquelles il arrive sont-elles de tout point à ce que nous croyons savoir aujourd’hui des temps primitifs de la Grèce ? Des fouilles récentes, la comparaison avec d’autres civilisations analogues, une expérience critique plus longue, nous conduiraient peut-être à modifier sur quelques points les opinions de Thucydide et à tirer d’Homère des renseignements un peu différents de ceux qu’il y a puisés. Peu importe. C’est la loi du progrès, invoquée par Thucydide lui-même, que certaines solutions de la science ne soient que provisoires ; mais l’honneur de Thucydide et l’incontestable justesse de son point de vue, c’est d’avoir le premier compris et

  1. Thucydide, I, 71, 3 : ἀνάγκη δ’ὥσπερ τέχνης ἀεὶ τὰ ἐπιγιγνόμενο κρατεῖν.