Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t4.djvu/149

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sévères maîtresses ne lui permettent jamais un caprice : elle est esclave, comme la rime de Boileau, et doit obéir. Son rôle est de mieux faire comprendre le réel, non de l’embellir ou de le déguiser, ni même de le présenter sous un aspect simplement pittoresque et amusant. Si cet art sérieux manque d’un certain agrément facile, en revanche il est admirable par toutes les qualités de puissance, de force, d’éclat même, qui peuvent se concilier avec l’austérité scientifique. Il a le pathétique intense qui résulte d’une composition dramatique et serrée ; il a dans le style la profondeur, la précision, la brièveté frappante, l’incorrection expressive et hardie.

Rien de plus personnel que tout cela, et pourtant rien de plus attique. Thucydide écrivain est, tout autant que Thucydide historien, l’homme de son temps et de son pays ; c’est non seulement un Attique, mais encore un Attique d’une certaine date ; il appartient à la première génération de la guerre du Péloponèse ; son éducation intellectuelle était achevée et fixée vers le temps de la mort de Périclès.


§1

L’art de composer, c’est-à-dire de grouper les parties d’un sujet de manières à en faire voir les rapports naturels, est pour ainsi dire inné chez les Grecs. Mais c’est surtout l’atticisme qui, en créant le drame et l’éloquence, a fait d’une rigoureuse unité la loi essentielle de l’œuvre d’art. Au théâtre, devant des spectateurs, dans un temps limité, il faut que l’action se concentre et se presse. Devant un tribunal ou au Pnyx, l’orateur, engagé dans une lutte sérieuse, doit ramasser toute son attention sur la démonstration de sa thèse. Son sujet le possède tout entier ; il songe sans cesse à