Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t4.djvu/158

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il emploie les mêmes procédés qu’eux : mêmes antithèses, mêmes formations de mots nouveaux, mêmes distinctions de synonymes. Et pourtant, est-il besoin de le dire ? tout en imitant, il reste original. Car ce qu’il veut comme ses maîtres, il le veut avec plus de force et plus de hardiesse, il le réalise avec plus de puissance et de liberté. Ce qu’il emprunte, c’est ainsi dire la grammaire du style ; ce qu’il ajoute de son propre fonds, c’est le génie, qui élargit les moules traditionnels et parfois les fait éclater. Plus que ses maîtres, il renouvelle la langue pour lui faire exprimer des idées nouvelles. Il la manie avec une violence impérieuse. Il allie la profondeur à la précision, l’abondance des idées à une concentration si forte qu’elle en devient quelquefois obscure. Précision subtile, profonde, laborieuse, mêlée de grandeur ou d’éclat, brièveté dense et obscure ; mouvements brusques d’une pensée en lutte perpétuelle contre les insuffisances ou les révoltes de la langue, tout cela produit un style souvent difficile à bien entendre et où l’effort est sensible, mais qui s’empare du lecteur, le captive, et en définitive ravit son admiration par la plénitude du sens et la force de l’expression. Essayons d’entrer, à ce sujet, dans quelques détails plus techniques et plus précis.

Le fond du vocabulaire de Thucydide, comme il arrive d’ordinaire chez les écrivains en prose, est, avant tout, celui du langage courant de ses contemporains, mais ce fond se trouve sensiblement modifié chez lui par sa recherche de deux qualités qu’il poursuit avec passion, la force éclatante et la précision.

Les mots ordinaires manquent de beauté ; l’usage les a rendus communs. Les mots anciens et poétiques, ou au contraire les mots neufs et bien frappés, rehaussent le discours et l’embellissent. Thucydide use à la fois des une et des autres.