Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t4.djvu/77

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c’est un côté nouveau du problème, qui, négligé d’abord, puis repris, permet à l’orateur de renouveler son argumentation. Mais souvent aussi l’effort dialectique porte sur la même idée, de plus en plus creusée, et presque avec les mêmes mots ; la symétrie extérieure accentue et souligne ainsi la subtilité de la pensée. Celle-ci est poussée au dernier point, mais sans aller jusqu’au pur jeu d’esprit : l’argumentation, quelque subtile qu’elle soit, pourrait passer presque sans changement dans un plaidoyer réel. Prenons un exemple. Dans la première tétralogie, il s’agit d’une question de fait[1]. Un homme a été tué ; par qui ? Il n’a pas été dépouillé ; son esclave, mort depuis, a accusé un ennemi de la victime. Tout se réunit donc pour accabler cet accusé ; les vraisemblances[2] et les témoignages[3] sont contre lui. Antiphon va tour à tour mettre en œuvre ces éléments de preuve et les réfuter. Sans analyser les quatre discours, il suffit, pour saisir sa méthode, de considérer à part une idée qu’on suit, pour ainsi dire, à la trace à travers tous les discours, serrée toujours de plus en plus près. — Argument de l’accusateur (1, 4) : ce ne sont pas des voleurs qui ont fait le coup, car la victime n’était pas dépouillée. — Réponse (2, 5) : les voleurs ont pu être interrompus. — Réplique de l’accusateur (3, 2) : s’ils avaient été interrompus, les survenants auraient averti les magistrats et n’auraient pas laissé les soupçons s’égarer sur l’ennemi du mort. — Réplique de la défense (4, 5) : les survenants ont eu peur et se sont tenus cois. — Notons que, dans tout cela, on ne trouve que des arguments très raisonnables ; ce sont de ces arguments qui ne font pas à eux seuls la conviction d’un jury, mais qui la préparent ou la confirment ; ce ne sont pas des frivolités et de

  1. Comparer l’exemple de Tisias, dans le Phèdre, p. 273, B.
  2. Τὰ εἰκότα
  3. Αἰ μαρτυρίαι