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NONNOS


toutes les légendes qu’il sait ; et il en sait prodigieusement[1]. Par là, son poème est devenu peu à peu comme un immense répertoire de mythologie, et c’est à ce titre qu’il est surtout lu aujourd’hui de ceux qui le lisent. Mais l’histoire littéraire n’a pas le droit de l’apprécier ainsi ; car, malgré ses énormes défauts, il mérite mieux que ce succès de pure érudition.

Ce qui manque le plus à cette masse de vers, c’est de former un tout. Nonnos avait entrevu une idée maîtresse, à la fois religieuse et morale, qui aurait pu être intéressante, et il n’a pas su en profiter. Ni la conception de l’épreuve imposée à Dionysos ni celle de la victoire d’une humanité meilleure ne sont vraiment mises en lumière. Il en résulte qu’en son ensemble, le poème n’est qu’un amas confus de récits. Si l’on en considère les parties, la composition n’en est pas meilleure. Non seulement les épisodes naissent sans raison suffisante, mais, de plus, chaque motif est amplifié à l’infini, avec des redites qui dégénèrent en bavardage. Les procédés même du développement sont essentiellement sophistiques ; à tout propos, des énumérations ; et les énumérations chez Nonnos n’en finissent plus. En outre, la déclamation à satiété, l’enflure puérile, le mauvais goût, le besoin d’intervenir sans cesse et sans raison dans le récit. Tout un chant, le XXVe est consacré par le poète à une double comparaison entre Dionysos et Persée d’une part, Dionysos et Héraclès, de l’autre. Nous prenons là sur le fait l’élève des sophistes traitant un des lieux communs de l’éloge. Bien entendu, il le traite avec toute la subtilité, toute la frivolité maniérée de ses maîtres. Même goût partout, dans les discours, dans les descrip-

  1. Les sources de son invention sont encore mal déterminées. Il a dû puiser dans les poètes alexandrins et dans les mythographes ; il n’est pas douteux qu’il ne lût les premiers, et qu’il n’ait pu, par conséquent, leur faire bien des emprunts directs.