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LE COFFRET DE SANTAL

monde est rentré. Les bouchers, ensommeillés, reçoivent d’énormes moitiés de bœufs, des moutons entr’ouverts et raidis.

Tout le monde est chez soi, égoïstement et lourdement endormi. Où aller ? Tout endroit hospitalier est fermé. Les feux sont éteints. À peine trouverait-on quelques brins de braises dans les cendres des foyers refroidis.

(Dans la vie antique, c’est à cette heure-là que les dormeurs des orgies se font éveiller par les esclaves. On remet de l’huile aux lampes mourantes. On sert à boire. On s’agite. On chante. Mais c’est pour oublier la mortelle influence qui est sur la maison. Aussi les plus forts sont pâles, bleuâtres, des frissons indomptables traversent leurs os.)

Les transparences de la nuit deviennent dures ou se voilent de brume. Oh ! il vaut mieux marcher. Où aller ? C’est l’heure froide.

Minuit est la limite fictive, astronomique, entre la veille et le lendemain. Mais l’heure froide est l’instant vrai, humain où un autre jour va venir. Il semble qu’à cette heure, il soit mis en question pour cha-