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CHANSONS PERPÉTUELLES

D’où viennent s’abreuver, au bord, les animaux :
Bœufs, chevaux ; tandis qu’en amont, les lavandières
Font claquer leurs battoirs sur le linge et les pierres.
Ou bien plongent leurs bras nacrés dans l’eau qui court,
Et, montrant leurs pieds nus, le jupon troussé court,
Chantent une chanson où le roi les épouse.
Chanson, pieds nus, bras blancs, font que ce gars en blouse
Distrait, laisse aller seul son cheval fatigué,
Fumant, poitrail dans l’eau, par les courbes du gué.

Ces feuillages, en plein courant, couvrent quelqu’île
Qu’on voudrait posséder, pour y rêver tranquille.

Puis des collines à carreaux irréguliers,
Des petits bois ; plus près de l’eau, les peupliers
Et les saules. Le Fleuve élargi, moins rapide,
S’emplit de nénuphars, de joncs. Dans l’or fluide
Du soir, les moucherons valsent.
                                Mais, rapprochés,
Maintenant les coteaux s’élèvent. Des rochers
Interrompent souvent les cultures en pente.
Tout le pays pierreux, où le Fleuve serpente
Nourrit, pauvre et moussu, la ronce et le bandit.
Le courant étranglé dans les ravins, bondit
Sur les roches, ou bien dort dans les trous qu’il creuse.