Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 4, Amyot, 1846.djvu/355

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

le mal ne vient pas des vérités qu’on publie, mais des vérités qu’on déguise ; aussi ai-je toujours regardé comme pernicieux le proverbe de nos pères : Toutes vérités ne sont pas bonnes à dire.

C’est parce que chacun trie dans la vérité ce qui sert à ses passions, à sa peur, à sa servilité, à son intérêt, qu’on la rend plus nuisible que l’erreur ; aussi, quand je voyage, je ne choisis pas dans les faits que je recueille, je ne repousse pas ceux qui combattent mes croyances les plus chères. Tant que je raconte, je n’ai d’autre religion que le culte du vrai ; je m’efforce de n’être pas juge, je ne suis pas même peintre, car les peintres composent ; je tâche de devenir miroir ; enfin je veux être impartial avant tout, et en ceci l’intention suffit, du moins aux yeux des lecteurs spirituels ; je ne puis ni ne veux m’avouer qu’il en existe d’autres, cette découverte rendrait la tâche de l’écrivain trop fastidieuse.

Toutes les fois que j’ai eu l’occasion de communiquer avec les hommes, la première pensée que m’aient inspirée leurs procédés envers moi, c’est qu’ils avaient plus d’esprit que moi, qu’ils savaient mieux se défendre, mieux dire et mieux faire. Tel a été jusqu’à ce jour le résultat de mes expériences ; je ne méprise donc personne, à plus forte raison suis-je loin de mépriser mes lecteurs. Voilà pourquoi je ne les flatte jamais.