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MÉMOIRES D'UN PAYSAN BAS-BRETON

J’avais souvent entendu mon père et ma mère dire qu’ils avaient vu et entretenu des âmes du Purgatoire, venues tout exprès leur demander des prières ou des messes pour être délivrées de ce lieu de supplice temporaire. Mon père voyait à chaque instant passer dans la nuit des convois funèbres, où des ombres fantastiques figuraient parfaitement les personnes, sans qu’on pût nommer cependant le futur mort, dont le fantôme faisait ainsi le trajet d’avance. Il affirmait avoir vu des propriétaires et de riches fermiers, morts dans l’impénitence dernière, venir ravager leurs propriétés après leur mort et empêcher les gens de prendre aucun repos la nuit. On était obligé alors d’avoir recours à un prêtre pour arrêter le perturbateur nocturne. Mais tous les prêtres n’avaient pas le pouvoir nécessaire : la besogne était rude. Mon père en avait vu plus d’un revenir à la ferme tout trempé de sueur, ayant lutté pendant plusieurs heures contre le délinquant, mais déclarant qu’il le tenait tout de même, bien garrotté et renfermé à double tour dans une espèce de valise noire destinée à cet usage. Il assurait alors les gens de la ferme qu’ils n’avaient désormais plus rien à craindre de ce vilain tapageur, qu’il se chargeait de lui régler son compte.

Mon père voyait aussi très souvent, surtout aux croisements de chemins, de petits lutins, des « courigans » ou « couriquets », qui lui jouaient de vilains tours, en l’obligeant à jouer ou danser avec eux toute la nuit, ou en le conduisant dans un mauvais chemin rempli de ronces et d’épines, d’où il ne sortait qu’au point du jour, avec ses hardes et sa peau en lambeaux et ensanglantés. Non seulement mes parents, mais tout le monde, même des jeunes gens de mon âge et au-dessous, disaient avoir vu toutes ces choses. Moi seul, je ne voyais rien. Cependant j’avais souvent voyagé la nuit, surtout quand j’exerçais la profession de mendiant, et plus tard quand, domestique, j’allais à toute heure de nuit chercher les bestiaux dans les bois et les garennes, aux endroits mêmes que l’on disait habités par les couriquets. Aucun de ces petits lutins ne vint jamais me troubler dans mes recherches nocturnes. Je n’étais donc pas fait comme tout le monde ? Mes yeux ne voyaient pas comme les yeux des autres ?

En 1853, parut une comète qui devint, dans nos campagnes,