Page:Déguignet - Mémoires d un paysan bas breton.djvu/36

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
MÉMOIRES


D’UN


PAYSAN BAS-BRETON[1]


— PREMIÈRE SÉRIE —



V

À LA CASERNE


Me voilà lancé sur la route de l’avenir. Où me mènerait-elle ? En tout cas, je ne pensais ni à la fortune, ni à la gloire, ni même au patriotisme. Je n’avais qu’une idée dans ma cervelle inculte, c’était de chercher à voir et à savoir. Dans cette idée, je quittai heureux et content cette pauvre Bretagne, que tant de jeunes gens alors ne voulaient quitter à aucun prix. Beaucoup dépensaient des centaines de francs chez les sorciers pour avoir la chance de tirer un bon numéro ; d’autres s’empoisonnaient en avalant toutes sortes de drogues ou se mutilaient afin de se rendre impropres au service.

Lorsque je fus arrivé à environ six kilomètres de Quimper, j’aperçus le bourg d’Ergué-Gabéric et beaucoup de fermes, dans lesquelles j’allais autrefois, chaque semaine, chercher quelque chose à manger pour moi et mes parents ; je regardai le clocher, l’église, le cimetière où mes parents devaient bientôt aller se reposer de leur longue vie de misère. Je contemplai aussi ce vieux presbytère où, pendant trois années consécutives, à l’époque des communions, j’avais mangé de bonnes écuellées de soupe que le recteur nous faisait donner à midi,

  1. Voir la Revue du 15 décembre 1904.