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LA REVUE DE PARIS

chute de tous ces empires et l’envahissement de l’Occident par les barbares d’Orient, puis l’envahissement de la Gaule par une autre espèce de barbares sortis des forêts de la Germanie, qui avaient subjugué et absorbé les Gaulois et donné leur nom à la France.

Il avait beau faire, mon caporal , s’il me donnait de la besogne, je lui en donnais aussi : une histoire racontée le soir, le lendemain je la lui narrais point à point, dans mon jargon, bien entendu, un français de cuisine qui le faisait rire parfois. Je savais les quatre règles ; quant à l’orthographe et à la langue française, elles ne peuvent guère s’apprendre, me disait-il, que par la lecture de bons livres et la fréquentation d’hommes parlant correctement la langue, deux choses difficiles, sinon impossibles, à trouver dans le milieu où je vivais alors et dans lequel j’ai passé toute ma vie. La géographie, il me l’apprit avec un crayon et une feuille de papier ou un vieux journal : le plancher, la couverture du lit, tout nous servait de moyen de démonstration. Le plus difficile ici fut de me prouver que la terre était ronde et de me faire comprendre les latitudes et les longitudes ; le reste alla comme l’histoire : je parle bien entendu d’un ensemble général, d’un canevas d’histoire et de géographie ; nous n’avions pas le temps d’entrer dans les détails.

Il m’expliqua aussi beaucoup de problèmes qui me trottaient dans le cerveau depuis mon enfance, notamment le télégraphe électrique et la vapeur. Il m’expliqua comment et par quelles lois les grands navires se maintiennent sur l’Océan, lorsqu’un simple grain de poussière s’y enfonce, et comment les mêmes lois font monter les ballons dans l’atmosphère. Il me raconta même l’aventure d’Archimède, à propos de la découverte de ces lois. Il m’avait enseigné un peu de géométrie et lorsque j’eus compris, non certes la géométrie, mais à quoi servait la géométrie, il me dit : « C’est incroyable que cette science si vraie, si juste, si nécessaire à l’homme et si facile à comprendre, soit exclue de nos écoles primaires, sous prétexte qu’elle n’est pas à la portée des jeunes intelligences. Mais elle est à la portée de tout le monde, au contraire, et tout le monde en fait. Les maçons, les charrons, les charpentiers, les cultivateurs même font de la géométrie