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MÉMOIRES D'UN PAYSAN BAS-BRETON

compter les visiteurs qui étaient assez nombreux ce jour-là, car les Russes venaient d’arriver en masse pour les fêtes de Pâques, et le premier soin de ces pauvres moujiks, à Jérusalem, est d’aller embrasser en pleurant ces taches de vermillon. Le moine offrait des cailloux à ceux qui voulaient en prendre. J’en aurais bien pris un, mais comme à Jérusalem il n’y a rien pour rien, je laissai ce caillou provenant de la fameuse grotte, laquelle, au dire de notre guide, fournit annuellement plus de cailloux qu’elle n’en contenait au premier jour de l’exploitation. Les cailloux que l’on vendait aux pèlerins provenaient du torrent du Cédron qui, pendant les fortes pluies, en amène de grandes quantités.

Du haut de cette montagne, Jérusalem me paraissait comme l’une de ces villes blanches que j’avais vues de chaque côté des Dardanelles et de la mer de Marmara. Deux monuments seulement dominaient les autres, le Saint-Sépulcre et le grand temple ou mosquée d’Omar. Celle-ci se trouve sur le mont Sion, où était autrefois le fameux temple de Salomon. En descendant, notre guide nous montra la route de Béthanie par laquelle, d’après les évangélistes, le fils de David fit son entrée triomphale dans la cité.

En retournant en ville, notre jeune guide nous fit passer devant un grand nombre de bazars, tous tenus par des Juifs, des Grecs ou des Arméniens. C’était ce que je voyais de plus beau dans cette ville où tout n’est que bazar. Le trafic des objets saints se pratique partout dans les rues, sur les places, dans les petites comme dans les grandes, dans les couvents aussi bien que dans le Saint-Sépulcre : on ne vit que de cela à Jérusalem. Le bazar de notre hôte était un des plus beaux : rien n’y manquait, depuis les objets les plus luxueux des Orientaux jusqu’aux plus petits riens vendus cependant très cher aux pèlerins. Je fus un peu étonné, après avoir vu cet Arménien à Constantinople dans un grand bazar où il avait, nous disait-il, ramassé pas mal de piastres, de le voir maintenant à Jérusalem à la tête d’un autre bazar plus grand et plus beau encore. En ce temps-là, je ne connaissais pas les Arméniens, pas plus que je ne connaissais les Juifs ni les Grecs. Depuis, j’ai lu plusieurs récits sur ces Arméniens, et, dans tous, j’ai vu qu’ils étaient fort malins.