Page:Démosthène - Œuvres complètes, Stiévenart, 1870.djvu/396

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à qui la peur ou la violence arracheront ce qu’ils lui refusent maintenant. [176] Si donc nous inclinons aujourd’hui vers le souvenir de quelques offenses des Thébains, si nous leur montrons de la défiance comme à des ennemis, (l’abord nous ferons ce que souhaiterait Philippe ; puis j’appréhende la défection de ses adversaires actuels ; je crains que, philippisant de concert, les deux partis ne s’élancent sur l’Attique. Mais, si vous m’écoutez, si vous venez à réfléchir et non à disputer sur mes paroles, j’espère qu’elles paraîtront opportunes, et que je dissiperai le péril qui nous menace. [177] Qu’est-ce donc que je demande ? Avant tout, cette crainte qui vous agite aujourd’hui, reportez-la tous sur les Thébains : beaucoup plus exposés, c’est sur eux que fondra d’abord l’orage. Envoyez ensuite à Éleusis votre cavalerie, et tout ce qui est en âge de servir ; montrez-vous en armes à toute la Grèce. Par là, les partisans que vous avez dans Thèbes pourront, avec une égale liberté, soutenir la bonne cause ; car ils verront que, si les traîtres qui vendent la patrie à Philippe s’appuient sur ses troupes d’Élatée, vous aussi vous êtes prêts et résolus à secourir, à la première attaque, ceux qui veulent combattre pour l’indépendance. [178] Je propose encore de nommer dix députés, qu’on investira du pouvoir de décider, avec les stratèges, et le jour du départ, et les détails de l’expédition. Arrivés à Thèbes, comment les députés négocieront-ils cette affaire ? Donnez-moi toute votre attention. Ne demandez rien aux Thébains ; quelle honte ce serait aujourd’hui ! Loin de là, promettez de les secourir, s’ils le demandent ; car leur péril est extrême, et, mieux qu’eux, nous voyons l’avenir. S’ils acceptent nos offres et nos conseils, nous aurons atteint notre but sans que la République ait quitté sa noble attitude. S’ils les repoussent, Thèbes n’accusera qu’elle-même de ses disgrâces, et nous n’aurons à nous reprocher ni honte ni bassesse.

[179] Après ces représentations et d’autres semblables, je descendis de la tribune ; tous applaudirent, personne ne contredit. Aux paroles, j’ajoutai un décret ; le décret porté, j’allai en ambassade ; ambassadeur, je persuadai les Thébains (104). Je commençai, je continuai, je consommai l’ouvrage ; j’exposai pour vous ma tête à tous les dangers qui assiégeaient la République. — Produis le décret qui fut promulgué alors.

[180] Eh bien ! veux-tu, Eschine, que je présente quels furent et ton rôle et le mien dans cette mémorable journée ? Veux-tu que j’aie été un Battalos, surnom que me donnent tes sarcasmes (105) ? toi, au contraire, un héros, non vulgaire, mais un héros de la scène, un Cresphonte, un Créon, ou cet Œnomaos que tu as si cruellement estropié à Colyte (106) ? Va, dans cette crise, le Battalos de Poeania mérita mieux de la patrie que l’Œnomaos de Cothoce : car tu ne fis rien pour elle, et je fis, moi, tout ce qu’on peut attendre d’un bon citoyen. Qu’on lise le décret.

[181] Décret.

Sous l’Archonte Nausiclès (107), la tribu Œantide présidant, le seize de Scirophorion, Démosthène, fils de Démosthène, de Pamulia, a dit :

Attendu que, par le passé, Philippe, roi des Macédoniens, a évidemment violé le traité de paix conclu entre lui et le Peuple Athénien, au mépris des serments et des droits consacrés chez tous les Hellènes ; pris des villes qui ne lui appartenaient nullement ; asservi même plusieurs places athéniennes, sans aucune provocation de notre part ; que maintenant encore, poussant plus loin la violence et la cruauté, [182] il occupe par ses garnisons des cités grecques, et y renverse le gouvernement populaire ; en rase d’autres, dont il chasse et vend les habitants ; établit dans quelques-unes les Barbares à la place des Hellènes, et leur abandonne les temples et les tombeaux, impiété qui ne dément ni son pays ni son caractère, abusant insolemment de sa fortune, oubliant combien son origine fut humble et obscure auprès de cette grandeur inespérée :

[183] Tant que la République Athénienne l’a vu s’emparer de villes barbares de sa dépendance (108), elle a jugé moins grave un outrage qui l’attaquait seule ; mais aujourd’hui que, sous ses yeux, il couvre d’ignominie des villes grecques, renverse des villes grecques, elle se croirait coupable et indigne de ses glorieux ancêtres, si elle laissait asservir les Hellènes.

[184] En conséquence, le Conseil et le Peuple d’Athènes arrêtent :

Après avoir offert des prières et des sacrifices aux Dieux et aux héros protecteurs d’Athènes et de son territoire, le cœur plein de la vertu de nos pères, qui mettaient à plus haut prix la défense de la liberté grecque que celle de leur propre patrie, nous lancerons à la mer deux cents vaisseaux ; l’amiral cinglera jusqu’à la hauteur des Thermopyles ; le stratège et l’hipparque dirigeront l’infanterie et la cavalerie vers Éleusis.

Des députés seront envoyés par toute la Grèce, et d’abord aux Thébains, que Philippe menace de plus près. [185] Ils les exhorteront à ne le point redouter, à embrasser étroitement leur liberté, celle de tous les Hellènes. Ils diront qu’Athènes, oubliant les griefs qui ont pu diviser les deux Républiques, leur enverra des secours en argent, en armes offensives et défensives, persuadée que, s’il est beau Pour des Hellènes de se disputer la prééminence, s’en dépouiller pour recevoir la loi de l’étranger est une insulte à leur propre gloire, à l’héroïsme de leurs aïeux. [186] Les Athéniens, ajouteront-ils, se regardent comme unis aux Thébains par les liens de famille et de patrie. Ils se rappellent les bienfaits de leurs ancêtres envers ceux de Thèbes : les Héraclides chassés de leurs royaumes héréditaires par les Péloponnésiens, y rentrant par les armes des Athéniens, vainqueurs de leurs ennemis ; Œdipe et les compagnons de son exil recueillis dans nos murs ; et beaucoup d’autres services éclatants rendus par nous aux Thébains. [187] Aussi, dans cette occasion, le Peuple d’Athènes ne divorcera pas avec leur cause, avec la cause de la Grèce.

Ces députés stipuleront l’alliance de guerre, le droit de mariage, donneront et recevront le serment.

Députés : Démosthène, fils de Démosthène, de Poea— 389 nia ; Hypéride, fils