Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, II.djvu/105

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des plus sages d’entre vous, les convulsions sont une imposture, ou l’ouvrage du diable : tirez vous-même la conséquence. On les invite à réfuter nettement ce petit syllogisme, dussent-ils parler aussi longtemps qu’ils l’ont fait sur la loi du silence.

C’est presque un dictionnaire, monsieur, que le nom des sectes dans lesquelles ces malheureux jansénistes se sont divisés au sujet des convulsions ; il y a d’abord les anti-convulsionistes décidés, qui ne veulent point de toute cette plate et dégoûtante comédie, sous quelque forme qu’elle se présente ; ce sont, comme de raison, les moins nombreux, parce que ce sont les moins insensés : et puis il y a les convulsionistes décidés ou mitigés, qui se partagent les uns et les autres en plusieurs branches : vaillantistes, qui attendent le prophète Élie ; augustinistes, qui en attendant aussi le prophète, se désennuient le mieux qu’il leur est possible avec les prophétesses ; margouillistes, qui se livrent dans la même attente à des plaisirs bien assortis au nom de la secte ; secouristes, qui sont pour les coups de bûches ; anti-secouristes, qui ne les goûtent point ; mélangistes, qui croient que Dieu et le diable sont chacun pour moitié dans l’œuvre ; discernants, qui vont jusqu’à démêler dans chaque tour de force, ce qui vient du ciel et ce qui appartient à l’enfer, le moment où Dieu disparaît, et où le diable prend sa place. Que dites-vous, monsieur, de cette liste ? Ne jugez-vous pas toutes ces sectes bien dignes de figurer à côté des stercoranistes, qui disputaient pour savoir ce que les espèces eucharistiques devenaient après la digestion, et de ces moines du mont Athos qui croyaient voir à leur nombril la gloire du Thabor ?

Quelle maladresse dans les jansénistes, d’avoir contribué eux-mêmes à décréditer par leurs convulsions les fameux miracles du diacre Pâris ; miracles si célébrés autrefois, aujourd’hui oubliés, et dont même les jansénistes raisonnables ne se vantent plus ! Ils sont trop honteux des farces qui en ont résulté, et savent trop bien la maxime de l’Écriture, qu’il faut juger d’un arbre par les fruits. Arnauld, Pascal et Nicole, on l’a déjà dit, s’étaient montrés bien plus sages ; ils faisaient de bons livres, n’avaient point de convulsions, et n’ont fait qu’un seul miracle dans un besoin urgent ; aussi ce miracle leur réussit-il. Ce n’est plus le temps de les multiplier, si on veut en tirer parti : le sage et pieux Fleury observe avec raison qu’il ne se fait plus ou presque plus de miracles, parce que la vraie religion n’a plus besoin de cette preuve ; et c’est bien ici le cas de dire, que qui prouve trop ne prouve rien.

Les jansénistes modernes, ces tristes enfants d’aïeux respectables, étaient pourtant si glorieux il y a trente ans des prétendus