Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, II.djvu/141

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apprenant tant de choses, avait aussi appris à interpréter les songes, la visite que Christine lui rendit, la lecture qu’ils firent ensemble du moyen de parvenir, le combat à coups de poing entre messieurs Bourdelot et Meibom, et d’autres anecdotes aussi intéressantes. Je passe sous silence aussi les noms de tous les savans que Christine attira dans ses États ou qu’elle y trouva, et son commerce épistolaire avec eux. Elle eût mieux fait de ne pas tant écrire de lettres de complimens aux savans, et d’envoyer un peu plus de lettres de change à Nicolas Heinsius qu’elle avait chargé de lui acheter des livres, des manuscrits et des médailles, et qui ne put jamais parvenir à être remboursé de ses avances. Néanmoins l’historien de Christine entreprend de la justifier sur cet article même, et fait presque un crime à Heinsius de s’être plaint. Les monarques sont assez dans l’usage de se manquer de bonne foi entre eux, mais il ne leur est pas encore permis d’étendre cette règle aux particuliers.

Ce qu’il y a de plus remarquable dans les lettres dont il est question, c’est l’offre que Christine fît à Scudéri, en 1653 si l’on en croit un auteur moderne, de recevoir la dédicace de son Alaric, en y joignant un présent considérable, à condition qu’il effacerait de ce poëme l’éloge de La Gardie qui avait encouru la disgrâce de la reine ; Scudéri répondit à cette offre, qu’il ne détruirait jamais l’autel où il avait sacrifié. Une réponse si noble fait regretter que le poëme d’Alaric n’ait pas été meilleur.

Parmi les savans que Christine accueillait, on ne trouve pas un seul Anglais. Cette nation, devenue depuis si fameuse et si féconde en grands génies, était alors agitée de troubles et de guerres civiles peu favorables aux lettres. Elle venait de faire couper la tête à Charles Ier, et ne songeait guère qu’à sa liberté, à son agrandissement et à son commerce. L’exécution récente de ce prince faisait beaucoup de bruit en Suède : plusieurs ne trouvaient pas mauvais, dit Chanut, ambassadeur de France qu’il y eût un exemple public d’un roi d’Angleterre dépouillé de son autorité pour avoir violé le contrat fait avec ses sujets ; mais tous généralement blâmaient l’excès d’injustice et de fureur où la nation s’était portée. Il n’est guère vraisemblable que Christine, apprenant cette nouvelle, ait tenu ce discours qu’on lui attribue : les Anglais ont fait couper la tête à leur roi, qui n’en faisait rien, et ils ont bien fait. Comment concilier ce discours avec la lettre qu’elle écrivit en même temps au fils de l’infortuné monarque, lettre dans laquelle elle se récrie contre cet arrêt d’un parlement sanguinaire ? L’horreur que Christine en conçut fut une des causes qui retardèrent la conclusion du