Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, II.djvu/40

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce ne sont pas les seules précautions qu’ils aient prises, car ils ont pensé à tout. Ils ont eu, à la vérité en petit nombre, des casuistes et des directeurs sévères, pour le petit nombre de ceux qui, par caractère ou par scrupule, voulaient porter dans toute sa rigueur le joug de l’Évangile ; par ce moyen se faisant, pour ainsi dire, tout à tous, suivant une expression de l’Écriture, dont à la vérité ils détournaient tant soit peu le sens, d’un côté ils se préparaient des amis de toute espèce, et de l’autre ils réfutaient ou croyaient réfuter d’avance l’objection qu’on pouvait leur faire, d’enseigner universellement la morale relâchée, et d’en avoir fait la doctrine uniforme de leur compagnie. Cette espèce d’assortiment complet destiné à satisfaire tous les goûts, est assez bien représenté dans ces vers si connus de Despréaux :


Si Bourdaloue un peu sévère
Nous dit, craignez la volupté,
Escobar, lui dit-on, mon père,
Nous la permet pour la santé.


Il faut même remarquer que la plupart de ces Jésuites si sévères dans leurs livres ou dans leurs sermons, l’ont été beaucoup moins pour leurs pénitents ; on a dit de Bourdaloue même, que s’il surfaisait dans la chaire, il rabattait dans le confessionnal ; nouveau trait de politique bien entendue de la part des Jésuites, parce que la sévérité spéculative répond aux censeurs, et que la condescendance pratique attire la multitude.

À la Chine ils employèrent encore d’autres moyens ; ils allégèrent au peuple le joug qu’ils venaient lui imposer, en lui permettant d’allier aux pratiques du christianisme quelques cérémonies de la religion du pays, auxquelles la multitude, partout superstitieuse et moutonnière, était fort attachée.

Cette philosophie purement humaine, qui ne voit dans le zèle des Jésuites et de beaucoup d’autres pour aller prêcher la religion aux extrémités de la terre, qu’un moyen dont ils se servent pour être accrédités et puissants, regarde comme les plus adroits missionnaires ceux qui savent le mieux parvenir à ce but. Il faut donc lui pardonner si elle est un peu surprise de tant d’invectives et de clameurs dont ces pères ont été l’objet, au sujet des superstitions chinoises qu’ils permettaient aux nouveaux convertis. En cela, comme dans le reste de leur conduite jusqu’au temps de leur destruction, ils ont prouvé, on le répète, qu’ils connaissaient mieux les hommes que ne faisaient leurs adversaires ; ils ont senti qu’il ne fallait pas effaroucher ni dégoûter les nouveaux chrétiens en leur interdisant quelques pratiques nationales qui leur étaient chères, et qu’on est tou-