Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, II.djvu/80

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venir que l’aveugle incrédule doit se trouver un peu embarrassé entre deux hommes qui s’offrent chacun de lui servir de guide, et s’accusent réciproquement d’être plus aveugles que lui. Messieurs, leur dira-t-il sans doute, je vous remercie l’un et l’autre de vos offres charitables ; Dieu m’a donné, pour me conduire dans les ténèbres, un bâton qui est la raison, et qui doit, dites-vous, me mener à la foi ; hé bien, je ferai usage de ce bâton salutaire, j’irai droit où il me conduira, et j’espère en tirer plus d’utilité que de vous deux.

Il ne reste donc plus au gouvernement et aux magistrats, pour l’honneur de la religion et de l’État, que de réprimer et d’avilir également les deux partis. Nous le disons avec d’autant plus de confiance, que personne ne révoque en doute l’impartialité des sages dépositaires de la justice, et le profond mépris qu’ils ont pour ces querelles absurdes, dont leur ministère a exigé qu’ils prévinssent les dangereux effets. Avec quelle satisfaction les citoyens sages et éclairés ne les verront-ils pas consommer leur ouvrage ? Le gazetier janséniste et les convulsionnaires[1] ne doivent-ils pas attendre d’eux, à la première occasion, le même traitement que les Jésuites, avec cette différence néanmoins qu’ont doit mettre, quant à l’éclat, entre la punition d’une noblesse révoltée et celle d’une populace remuante ? Les Jésuites débitaient leurs dangereuses maximes au grand jour ; les convulsionnaires et le gazetier janséniste prêchent et impriment leurs impertinences dans les ténèbres ; l’obscurité seule, dont ces misérables s’enveloppent, peut les dérober au sort qu’ils méritent ; peut-être même ne faut-il, pour les détruire, que leur ôter cette obscurité, qu’ordonner aux convulsionnaires, sous peine du fouet, de représenter leurs farces dégoûtantes, non dans un galetas, mais à la foire, pour de l’argent, entre les danseurs de corde et les joueurs de gobelets, qui les feront bientôt tomber ; et au gazetier janséniste, sous peine d’être promené sur un âne, d’imprimer son libelle ennuyeux, non dans son grenier, mais chez un libraire autorisé, chez celui, par exemple, du Journal chrétien, si répandu et si digne de l’être. Convulsionnaires et gazetiers s’évanouiront, dès qu’ils auront perdu le petit mérite qui leur reste, celui de la clandestinité. Bientôt le nom des jansénistes sera oublié, comme celui de leurs adversaires est proscrit ; la destruction des uns et la disparition des autres ne laisseront plus de traces qui les rappelle ; cet événement, comme tous ceux qui l’ont précédé, sera effacé et ense-

  1. On assure que, dès le lendemain de l’expulsion des Jésuites, les convulsionnaires ont commencé à la prédire. C’est ainsi qu’ils ont toujours prophétisé et ; ce qui est bien surprenant, ils ne se sont jamais trompés.