Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, II.djvu/91

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scolastique ; car soyez persuadé, monsieur, que cette atrocité n’est pas propre aux Jésuites seuls ; que c’est le caractère général de tous les théologiens de parti ; que s’il leur arrive de crier contre la persécution, ce n’est jamais contre celle qui proscrit d’autres opinions que les leurs, encore moins contre celle qu’on fait éprouver à leurs ennemis ; c’est uniquement contre celle qu’on exerce sur eux. Lisez tous les écrits des jansénistes, vous les verrez bien plus indignés de la destruction des filles de l’enfance et de la communauté de Sainte-Barbe, que du massacre de Cabrière, et de la Saint-Barthelemi.

Pour en revenir aux Jésuites, et faire connaître par de nouveaux traits l’esprit qui les anime, voici l’extrait d’une lettre écrite l’année dernière des pays étrangers par un des hommes les plus vertueux et les plus respectables de l’Europe. L’auteur du livre sur la destruction des Jésuites a passé sous silence quelques traits qui ne font pas honneur aux révérends pères, par exemple, celui d’une banqueroute frauduleuse à Séville, il y a une centaine d’années ; les révérends pères avaient établi une banque pour faire valoir par charité chrétienne l’argent des veuves et des orphelins ; après avoir reçu quatre ou cinq cent mille écus d’Espagne, ils firent leur banqueroute, et en furent convaincus juridiquement. Toute l’Espagne connaît cette vérité. Autre trait arrivé de mon temps : les révérends pères se brouillèrent avec un gouverneur du roi, limitrophe de leur royaume de Paraguai ; il s’appelait Antequera, ils l’appelèrent Antéchristo ; ils envoyèrent des troupes contrée lui ; se sentant trou faible il se sauva à Lima ; les révérends pères l’y poursuivirent et l’accusèrent de s’être révolté contre le roi, il eut la tête tranchée. On était généralement persuadé de l’innocence du gouverneur. La cour d’Espagne ordonna à un évêque près du Paraguai de faire des enquêtes là-dessus ; l’évêque justifia les révérends pères ; mais, avant de mourir, il écrivit au roi, lui demandant pardon et à Dieu, de n’avoir pas osé dire la vérité, crainte d’être assassiné ou empoisonné, et justifiant en tout le gouverneur Antequera ; le neveu de l’évêque fut chargé de la lettre, qu’il n’osa pas cependant rendre, et qui n’a été trouvée ou donnée qu’à la mort du neveu, il y a peut-être huit ou dix ans. Je tiens ceci du ministre du roi d’Espagne en 1760, que j’étais à Madrid.

Après ces détails, monsieur, jugez de ce qu’on doit penser de la charité jésuitique ; jugez si l’anecdote de la voûte et de ses peintures exige une rétractation de ma part. Je ne parle point, car je ne cherche point à chicaner, du scandale que d’autres pourraient trouver encore à mettre dans la bouche de S. Ignace