Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, III.djvu/523

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de la Métromanie et du Méchant, au moins dans le très-petit nombre des vraies comédies, devenues si rares au Théâtre-Français depuis trente années, et dont le moule semble être brisé de nos jours. La stérilité ou la paresse des auteurs trouve un succès, moins flatteur à la vérité, mais plus sûr et plus facile, dans ce qu’on appelle le tragique bourgeois ; ils consentent à recueillir moins de gloire en s’exposant à moins de dangers. Boissy, quelque besoin qu’il eût de réussir et d’en saisir tous les moyens, semble avoir dédaigné de recourir à cette ressource. S’il n’a pas toujours fait rire sur la scène comique, il se félicitait au moins de n’y avoir jamais fait pleurer, tant il était convaincu que la comédie doit être la peinture gaie et non pas affligeante de la nature et de la vie humaine. Mais ayant trop peu vécu dans le monde pour le connaître, et trop peu étudié les hommes pour les avoir bien vus, il a peint les hommes d’une touche plus légère que mâle, et plus facile que vigoureuse. Aussi trouve-t-on dans ses pièces plus de détails que de grands effets, plus de tirades que de scènes, et plus de portraits que de caractères. La seule comédie des Dehors trompeurs annonce un peintre plus observateur et plus profond ; elle parut même si supérieure à ses autres pièces, que l’envie voulut la lui ravir, et prétendit que le sujet et le plan lui en avaient été donnés. Mais ce sujet et ce plan n’ayant été réclamés par personne, il est juste de lui en laisser l’honneur ; et parce qu’il lui est arrivé de faire, en cette seule occasion, plus de dépense que la modicité de son fonds ne semblait le lui permettre, on ne doit pas l’accuser pour cela de s’être approprié le bien des autres. Ce n’est pas la première fois qu’on a tâché d’enlever à des écrivains estimables, des productions, dont les auteurs prétendus se seraient bientôt montrés, s’ils en eussent été les véritables pères. Il est bien rare et bien difficile que la vanité soit assez généreuse pour renoncer gratuitement à la jouissance personnelle de ses productions, et pour en faire le sacrifice à l’amitié même, qui ne reçoit guère de sa part que des présens très-modiques.

Cependant cette comédie des Dehors trompeurs, malgré son succès et son mérite, eut un adversaire dont le nom était fait pour en imposer à la multitude, c’était le poète J. B. Rousseau, que nous avons déjà vu si déclaré contre le Glorieux[1]. Exilé depuis long-temps de sa patrie, mécontent de lui-même et des autres, jaloux des succès qu’il ne partageait pas, il ne louait guère que ce qu’il avait intérêt de louer, et déchirait tout le reste. Cet auteur, constamment réprouvé au théâtre, qu’il avait d’ailleurs perdu de vue depuis long-temps, et dont il ne

  1. Voyez l’éloge de Destouches.