Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, IV.djvu/103

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venu. Je l’avais vu commander avec son père les prétoriens, et depuis maître de Rome et des armées. Ses proches, ses alliés étaient comblés d’honneurs ; les plus aimés de Séjan l’étaient de César, et ceux qu’il haïssait, tremblans ou méprisés. Sans nommer personne, je défendrai à mes seuls périls ceux qui comme moi ont ignoré ses complots. Non, César, ce n’était point Séjan de Vulsinie que nous honorions, c’était l’allié des maisons Claudia et Julia, votre gendre, votre collègue dans le consulat et dans le gouvernement. Nous ne jugeons ni les objets, ni les motifs de vos grâces. Les dieux, en vous donnant le pouvoir suprême, nous ont laissé le mérite de l’obéissance. Nous ne voyons que ce qui frappe nos yeux, ceux à qui vous donnez les richesses, les honneurs, le pouvoir de servir ou de nuire ; et l’on ne peut nier que Séjan n’ait joui de ces avantages. Quant aux sentimens et aux desseins secrets du prince, la prudence et le devoir obligent de les ignorer. Sénateurs, ne pensez point au dernier jour de Séjan, mais à seize ans de faveur. On respectait jusqu’à Satrius et Pomponius. On tenait à honneur d’être connu de ses affranchis et de ses portiers ; mais cette apologie sera-t-elle sans distinction, sans discernement et sans bornes ? non. Punissez les complices de ses desseins contre l’État et contre vos jours ; ceux qui, comme vous, César, n’ont été que ses amis, seront absous. »

La fermeté de ce discours, où chacun retrouvait ses sentimens secrets, fit tant d’impression, que les accusateurs, déjà chargés d’autres forfaits, subirent la mort ou l’exil.

Cruautés de Tibère et caractère de C. César.

Sext. Marius, le plus riche particulier d’Espagne, fut accusé d’inceste avec sa fille, et précipité du roc Tarpéien. Mais de peur qu’on ne doutât que ses richesses eussent causé sa perte, Tibère s’empara de ses mines d’or, quoique confisquées à l’État. Sa cruauté, irritée par les supplices, ordonna le meurtre de tous les prisonniers accusés de liaisons avec Séjan. Rome fut jonchée de morts, hommes, femmes, enfans, grands et petits, entassés ou dispersés ; les parens, les amis n’osaient les consoler, les pleurer, et presque les voir ; partout des gardes épiaient la douleur publique, et ne quittaient les cadavres qu’aux bords du Tibre, où ils les jetaient ; si le flot les ramenait, on craignait de les brûler, de les toucher. L’humanité cédait à la terreur, et la pitié à la barbarie (86).

Dans ce même temps, C. César, qui avait accompagné Tibère