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DE TACITE.

MORT DE MESSALINE.

La facilité de l’adultère en dégoûtait Messaline[1], et l’entraînait à des débauches d’un genre nouveau ; Silius même[2], soit aveuglement funeste, soit qu’il crût n’échapper au danger qu’en s’y précipitant, lui persuada de lever le masque : « Que la vieillesse de l’empereur les ferait trop attendre ; que si l’innocence délibérait sagement, le crime avéré se sauvait par l’audace ; qu’ils trouveraient des complices dans leurs compagnons de crainte ; qu’il était sans femme, sans enfans, et prêt à l’épouser, en adoptant Britannicus[3] ; qu’elle conserverait plus sûrement son pouvoir s’ils prévenaient Claude, peu en garde contre les complots, mais prompt à s’irriter. » Elle reçut froidement cette offre, non par amour pour son mari, mais par la crainte que Silius, devenu le maître, ne méprisât une femme adultère, et ne mît à son prix un crime que le péril lui aurait fait partager. Cependant elle désira le nom d’épouse, pour combler son infamie ; dernier plaisir, quand on n’a plus d’honneur à perdre. Elle n’attendit que le moment où Claude allait à Ostie pour un sacrifice, et elle célébra solennellement ses noces.

On regardera sans doute comme fabuleux, que dans une ville qui savait et disait tout, un citoyen, même obscur, à plus forte raison un consul désigné, ait eu l’audace d’épouser à jour marqué, devant témoins, et par contrat, la femme de l’empereur ; qu’elle ait consulté les auspices, sacrifié aux Dieux, donné un festin, reçu et rendu des baisers lascifs, enfin consommé pendant la nuit le plaisir conjugal. Mais ce n’est point ici un fait imaginé pour surprendre ; c’est ce que nos vieillards ont dit et écrit.

Toute la maison de Claude frémissait ; ceux entre autres à qui leur pouvoir faisait craindre une révolution, ne se bornant plus à des entretiens secrets, disaient hautement : « Que lorsqu’un histrion avait souillé le lit de l’empereur, il n’y avait eu que du déshonneur sans péril ; mais que la naissance, l’esprit, la jeunesse, la beauté, l’espérance prochaine du consulat, annonçaient dans Silius des desseins funestes, et qu’après son mariage il ne lui restait plus qu’un pas à faire. » Ils craignaient cepen-

  1. Première femme de l’empereur Claude, successeur de Caligula.
  2. Amant de Messaline.
  3. Fils de l’empereur Claude et de Messaline