Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, IV.djvu/132

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vie qui lui restait ; bel et inutile exemple donné par une affranchie, à qui d’affreux tourmens ne pouvaient faire trahir des complices qu’elle connaissait à peine, tandis que des hommes distingués, sénateurs, chevaliers, chargeaient, sans attendre la question, ce qu’ils avaient de plus chers ; car Lucain, Sénécion et Quintianus révélaient tout à Néron qui tremblait de plus en plus, quoiqu’il eût doublé sa garde.

Il mit, pour ainsi dire, Rome entière en prison, remplissant de troupes les remparts, le Tibre, et jusqu’à la mer. Des soldats à pied et à cheval, mêlés de Germains, qu’il croyait plus sûrs comme étrangers, parcouraient les places, les maisons, les campagnes, les villes municipales voisines ; ils traînaient sans cesse aux portes des jardins de Servilius, des troupes d’accusés chargés de chaînes, qui entraient pour être interrogés ; on les déclarait coupables s’ils paraissaient amis des conjurés, leur avoir dit un mot, s’être trouvés au spectacle ou à table avec eux. Questionnés avec rigueur par Tigellinus et Néron, ils étaient encore vexés par Fenius Rufus, qui, craignant la dénonciation, se préparait, par cette atrocité, à la démentir. Il contint même Subrius Flavius, qui, témoin de l’interrogatoire, lui faisait signe qu’il allait poignarder Néron, et avait déjà la main sur la garde de son épée.

Plusieurs se voyant découverts, exhortèrent Pison, tandis que Milicus parle et que Scevinus hésite, à marcher droit au camp, ou à la tribune, et à tâter le peuple et les soldats : « Que s’il était secondé par ses complices, il s’y en joindrait de nouveaux, animés par l’idée seule d’une grande entreprise, si propre à faciliter des révolutions ; que Néron n’avait point prévu ce coup d’éclat, capable de déconcerter même une âme ferme, à plus forte raison un vil comédien, qui, entouré de Tigellinus et d’infâmes prostituées, n’oserait recourir aux armes ; qu’un peu d’audace faisait réussir ce qui paraissait impossible aux lâches ; qu’en vain on comptait sur la fidélité, le silence, le courage de tant de complices ; que les récompenses ou les tourmens découvraient tout ; que lui-même à la fin serait chargé de fers, et périrait d’un supplice honteux ; qu’il mourrait plus honorablement en plaidant la cause de l’État et de la liberté, dût-il se voir abandonné du peuple et des soldats ; qu’il ferait du moins une fin mémorable, et digne de ses ancêtres. » Peu touché de ces conseils, Pison s’étant montré un moment, se renferma chez lui pour se préparer à mourir ; bientôt arrive une troupe de soldats : Néron les avait choisis jeunes et nouveaux, craignant l’attachement des autres pour Pison. Il se fit ouvrir les veines, et, par faiblesse