Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, IV.djvu/154

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de la crainte, inquiet, effrayé de tout, il se repent du parti qu’il a pris, revient au palais, et n’y voit qu’un vaste désert ; les moindres esclaves avaient disparu, ou l’évitaient. La solitude et le silence l’épouvantent. Il ouvre les lieux fermés, et frissonne quand il se voit seul. Las enfin d’errer misérablement, il se cache dans un réduit sale, d’où il est arraché par Julius Placidus, tribun de cohorte. On le traîne honteusement en spectacle, les habits déchirés, les mains liées derrière le dos ; plusieurs l’insultent ; personne ne pleure ; l’ignominie de sa mort étouffait la pitié. On le force avec la pointe des épées de lever la tête, et de l’offrir aux outrages, de voir ses statues renversées, la tribune aux harangues, le lieu du meurtre de Galba. On le pousse enfin jusqu’aux Gémonies, où il avait fait jeter le corps de Flavius Sabinus[1]. Il ne montra de courage que par ce seul mot au tribun qui l’insultait : J’ai pourtant été ton empereur. Enfin il tomba percé de coups, et la populace le déchira après sa mort aussi indignement qu’elle l’avait flatté pendant sa vie.

Il était dans sa cinquante-septième année. Sans mérite, et parla réputation de son père, il obtint le consulat, le sacerdoce, un rang et un nom entre les premiers citoyens. Ceux qui relevèrent à l’Empire ne le connaissaient pas. Il fut par son indolence plus cher aux soldats que bien d’autres par leurs vertus. Il avait pourtant de la simplicité et de la libéralité, qualités funestes pour qui les porte à l’excès. Croyant se faire des amis plutôt par des largesses que par un caractère ferme, il en mérita plus qu’il n’en eut. Sa chute importait sans doute à la république ; mais ceux qui le livrèrent à Vespasien ne pouvaient se faire un mérite de cette perfidie, puisqu’ils avaient trahi Galba. Sa mort finit la guerre sans donner la paix (166).


PORTRAIT D’HELVIDIUS PRISCUS,
GENDRE DE THRASEA.

Helvidius avait dès sa première jeunesse cultivé ses rares talens par des études profondes, non pour voiler comme tant d’autres son oisiveté du titre de sage, mais pour servir courageusement l’État dans les temps malheureux. Il embrassa cette secte de philosophes qui ne voient de bon que ce qui est honnête, de

  1. Frère de Vespasien, que Vitellius avait fait mourir.