Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, IV.djvu/160

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leur, par l’admiration qu’ils inspirent en combattant aux premiers rangs.

Ils croiraient blesser la majesté des dieux en les renfermant dans les murs d’un temple, ou en les représentant sous une forme humaine.

Les chefs jugent les affaires peu importantes ; les grandes sont portées à la nation, mais discutées d’abord par les chefs.

Leur liberté a cet inconvénient, qu’ils s’assemblent avec lenteur. Personne n’en donnant l’ordre, deux et trois jours y suffisent à peine. Dès qu’ils le jugent à propos, ils prennent place tout armés ; les prêtres (qui conservent même alors quelque pouvoir) font faire silence. Alors le roi, ou le chef, ou tout autre, sont écoutés selon le rang fixé par l’âge, la noblesse, la gloire des armes ou l’éloquence ; l’autorité de la persuasion est plus forte que celle du commandement.

Ils pendent les traîtres et les transfuges, et jettent dans un bourbier, sous une claie, les lâches et ceux qui ont prostitué leur corps. Leur motif, dans cette diversité de supplice, est de montrer la punition des crimes, et d’ensevelir celle des actions infâmes.

Les chefs combattent pour la victoire, les soldats pour le chef. Ils aiment mieux chercher l’ennemi et des blessures, que de labourer et d’attendre la moisson, et se croiraient fainéans et lâches de recueillir, à la sueur de leur corps, ce qu’ils peuvent enlever au prix de leur sang.

On ne plaisante point chez eux sur les vices ; être corrompu ou corrompre ne s’appelle point le train du siècle. Les bonnes mœurs y ont plus de force que les bonnes lois ailleurs.

Ils aiment les présens ; mais ils ne croient ni lier ceux à qui ils en font, ni se lier par ceux qu’ils reçoivent.

Ils arment les jeunes gens d’une lance et d’un bouclier ; c’est là leur robe virile, leur première décoration : jusqu’alors ils n’étaient qu’à leur famille, maintenant ils sont à l’État.

Ils font trembler ou tremblent, selon le caractère de leur musique guerrière. C’est moins une musique que l’accent de leur courage.

Reculer dans le combat, pour y revenir ensuite, est, chez eux, prudence, et non lâcheté. Près d’eux sont alors leurs gages les plus chers ; ils entendent les hurlemens de leurs femmes, les cris de leurs enfans ; ce sont leurs témoins les plus respectés, et leurs panégyristes les plus flatteurs.