Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, IV.djvu/164

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Nos compatriotes, tantôt vainqueurs, tantôt vaincus, nous regardaient comme leur ressource, nous, les plus distingués d’entre eux, habitant le centre de notre pays, ne voyant point les rivages esclaves, et n’ayant pas même les regards souillés par le voisinage de la servitude.

Placés à l’extrémité de la terre, dans le dernier rempart de la liberté, nous avons derrière nous les rochers, la mer, et les Romains dans notre pays. La modération, les égards ne fléchiront point leur orgueil. Dévastateurs du monde, si la terre leur manque, ils vont chercher les mers, avides quand l’ennemi est riche, oppresseurs quand il est pauvre. Ni l’Orient, ni l’Occident ne les rassasient. La rapine, le meurtre, ils l’osent appeler commandement, et nomment paix la solitude d’un pays dévasté.

La nature a rendu cher à tout homme ses enfans et ses proches. Rome les enlève ici, pour être esclaves ailleurs. Si vos femmes et vos sœurs ont échappé à la brutalité de l’ennemi, il les déshonore sous le nom d’ami et d’hôte ; on vous accable de tributs, on enlève vos blés, on excède vos forces même dans les bois et les marais, parmi les coups et les outrages. Les esclaves nés chez un maître sont nourris ou vendus par lui chaque jour ; la Bretagne achète et nourrit sa servitude : et comme les nouveaux esclaves sont le jouet des plus anciens, ainsi, dans ce vieil asservissement du monde, on veut nous anéantir comme les derniers et les plus vils.

Les tyrans haïssent la valeur et la fierté des sujets ; notre éloignement, nos retraites, en nous protégeant, nous font redouter. Ainsi, n’espérant point de pardon, que le soin de votre salut et de votre gloire vous ranime. Les Brigantes, commandés par une femme, ont osé brûler une colonie, attaquer les Romains, et seraient libres, si le succès ne les avait amollis. Et nous, jusqu’ici intacts et indomptés, ne montrerons-nous pas, des le premier combat, quels vengeurs la Calédonie se réservait ?

Croyez-vous les Romains aussi braves à la guerre que débordés à la paix ? Forts de nos troubles et de nos dissensions, les vices de l’ennemi font la gloire de leurs armées, ce ramas de nations si diverses, que le succès seul tient ensemble, et que les revers dissiperont. Car pensez-vous que ces Gaulois, ces Germains, et, j’ai honte de le dire, la plupart de ces Bretons qui vendent leur vie à des tyrans étrangers, mais qui ont été plus long-temps ennemis qu’esclaves, puissent leur être attachés ? La crainte est un faible lien ; qu’on le brise, et la haine prendra sa place.