Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, IV.djvu/210

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ne interrogative, en ne lui donnant pas le sens de nonne, et substituons, pour plus de facilité, à non satiatur, le mot delectatur, qui offre à peu près le même sens, on devrait traduire : il est insensible à vos succès ; se réjouit-il aussi de vos malheurs ? deux phrases qui ne s’adaptent nullement entre elles. C’est pour cette raison que , dans les éditions précédentes, ne croyant par alors pouvoir donner à la conjonction ne la signification de nonne, j’avais supposé qu’'etiamne… non satiatur, était ici pour nonne etiam satiatur, et que j’avais traduit en conséquence : qui sait même s’il ne se rassasie pas en secret de vos chagrins et de vos larmes ? Mais les raisons que je viens de dire m’ayant persuadé depuis que ne pouvait avoir ici la signification de nonne, je n’ai pas hésité à adopter le sens que je suis ici, et qui est celui de la plupart des autres traducteurs.

(143). Il méprise le culte public. Il y a dans le latin spernit religiones, et religiones signifie ici les honneurs qu’on rend aux dieux et aux princes traités comme des dieux. Tacite, en parlant d’Auguste, a dit qu’on lui décerna, après sa mort, un temple et des honneurs divins ; cælestes religiones.

(144). Les annales du peuple romain ne sont tant lues dans les Provinces et dans les armées, que pour apprendre ce que Thrasea n’a point fait. Cela peut avoir deux sens. Les partisans de Thrasea, dans les provinces et dans les armées, lisent avec soin les journaux du peuple romain, afin de connaître les prétendues injustices auxquelles Thrasea n’a point de part ; ou bien, les journaux du peuple romain sont lus partout, afin que personne n’ignore que Thrasea ne fait rien pour la patrie. Chacun de ces deux sens est assez beau pour pouvoir être attribué à Tacite. La phrase ut noscatur paraît indiquer le premier sens, surtout en la liant à la phrase suivante, où il est question des esprits remuans, qui regardaient Thrasea comme leur chef et leur modèle : mais le second sens paraît aussi pouvoir être adopté, parce qu’il est plus propre encore à charger Thrasea ; car le dessein de l’accusateur est évidemment de le faire paraître le plus coupable qu’il est possible. Dans les éditions précédentes, j’avais traduit en général l’histoire du peuple romain, si répandue dans les provinces et dans les armées, est l’histoire de ce que Thrasea n’a point fait ; phrase qui indique le second sens de préférence au premier : la traduction que j’y substitue aujourd’hui, sans vouloir absolument la préférer, indique davantage le premier sens. J’en laisse le choix au lecteur.

(145). En vain Cassius est banni, si vous laissez les imitateurs de Brutus vivre et se multiplier. Ce Cassius, dont il est parlé ici, descendait du fameux Cassius qui avait conjuré contre César. (Voyez le XVIe. livre des Annales, chap. 7.) Il fut exilé par un décret du Sénat, comme on le peut voir au chap. 9 du même livre. Tacite joue ici en