Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, IV.djvu/243

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est plus tendre et plus faible, c’est-à-dire, dans la prospérité et dans l’adversité ; le trouble que l’une et l’autre produisent, réveille et ranime l’amour : on a donc raison de dire qu’il est fils de la Folie.

Ceux qui ne peuvent bannir entièrement l’amour, font sagement au moins de le contenir dans des bornes étroites, et de le séparer des affaires et des occupations sérieuses : car quand l’amour s’y mêle il trouble tout, et écarte les hommes du but où ils tendent.

Les gens de guerre sont plus sujets à l’amour que les autres, soit parce qu’ils cherchent à compenser le péril par les plaisirs, soit parce que l’oisiveté leur rend ce sentiment nécessaire.

L’homme a dans son cœur un mouvement secret et une pente cachée qui le porte à l’amour des autres ; quand ce sentiment n’est pas borné à un seul, il s’étend comme de lui-même, et se répand sur plusieurs : ainsi il ne cesse d’être exclusif et personnel que pour devenir général. Son effet alors est de nous rendre humains et compatissans.

L’amour conjugal perpétue le genre humain, l’amour social le perfectionne, l’amour sensuel le corrompt et le déshonore.

CHAPITRE VII.
De l’Audace.

Démosthène a dit un mot fort connu, mais digne d’être remarqué par les sages. On lui demandait quelle était la première qualité de l’orateur ? L’action, répondit-il. Quelle est la seconde ? L’action. Quelle est la troisième ? L’action. Il parlait en connaisseur, et en connaisseur d’autant moins suspect, que la nature avait d’abord été avare à son égard, d’un avantage qu’il élevait si haut. C’est une chose surprenante qu’un talent qui ne passe pas l’écorce, et qui est encore plus celui d’un comédien que d’un orateur, ait été mis par Démosthène au-dessus des plus belles parties de l’éloquence, de l’invention, de l’élocution, et des autres ; enfin, qu’il l’ait presque regardé comme la seule partie nécessaire ; la raison en est évidente : les hommes ont beaucoup plus de sottise que de sagesse, et les qualités qui en imposent à la sottise sont les plus puissantes.

On peut comparer à l’action dans l’éloquence, l’audace dans les affaires civiles. Quelle doit être dans les affaires la première qualité ? L’audace. Quelle est la seconde ? L’audace. Quelle est la troisième ? L’audace. Elle est pourtant fille de l’ignorance et de la faiblesse, et fort au-dessus des autres parties de la science civile ; mais elle éblouit el captive les petits esprits et les âmes