Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, IV.djvu/31

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Croit-on d’ailleurs, quand on met ainsi sans pitié un écrivain latin ou grec à contribution, que tout soit également correct, également pur, également élégant dans les meilleurs auteurs anciens ? Qui nous assurera donc que la phrase que nous aurons empruntée, n’est pas une phrase négligée, traînante, faible, de mauvais goût. Tout le monde sait la patavinité qu’Asinius Pollion a reprochée à Tite-Live ? Y a-t-il un seul moderne qui puisse nous dire en quoi cette patavinité consiste ? Y en a-t-il par conséquent un seul qui puisse s’assurer qu’une phrase qu’il prendra de Tite-Live, n’est pas une phrase patavinienne ?

Enfin, n’y a-t-il pas des auteurs latins, reconnus d’ailleurs pour excellens, qu’on doit s’interdire absolument d’imiter dans des ouvrages d’un autre genre que celui où ils ont écrit ? Quand je vois un orateur latin employer des mots de Térence, sur ce fondement que Térence est un auteur de la bonne latinité, c’est à peu près comme si un orateur français employait des phrases de Molière par la raison que Molière est un de nos meilleurs auteurs : « Messieurs, pourrait dire à son auditoire, ce harangueur si heureux en imitation, c’est une étrange affaire que d’avoir à se montrer face à face devant vous, et l’exemple de ceux qui s’y sont frottés est une leçon bien parlante pour moi. Cependant on entend les gens sans se fâcher, et j’oserai prendre, avec votre permission, la liberté de vous dire mon petit avis. Voulez-vous donc, Messieurs, que je vous parle net ? vous devriez mourir de pure honte d’être battus de l’oiseau pour le petit malheur qui vous est arrivé. Si vous vous êtes mis dans la tête que vous n’auriez jamais de guignon, rayez cela de vos papiers. » Je ne vais pas plus loin, pour ne pas abuser de la patience du lecteur. Voilà pourtant du Térence français tout pur ; et ce qu’il faut bien remarquer, la plupart de ces phrases sont prises du Misanthrope, c’est-à-dire de celle de ses pièces qui est dans le style le plus noble.

Cet exemple suffit, je crois, pour prouver que ce n’est pas dans Térence qu’un orateur latin moderne doit former son style. On dira peut-être qu’il doit avoir soin de n’employer aucune expression, aucune phrase de cet auteur, qui ne soit autorisée par d’autres bons écrivains ; en ce cas, et par cette raison même, il est évident que Térence ne saurait lui servir de modèle.

Mais je vais plus loin, et je demanderai si Térence peut même être un modèle dans un genre d’écrire beaucoup moins sérieux ? On prétend que M. Nicole, pour bien traduire les Provinciales en latin, avait lu et relu Térence, et se l’était rendu si familier que sa traduction paraît être Térence même : à cela je n’ai qu’une question à faire. Croit-on que le style épistolaire doive