Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, IV.djvu/314

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analyse avec justesse, au génie qui produit avec chaleur ; le plus grand tort de La Motte n’est pas d’avoir critiqué l’Iliade, c’est d’en avoir fait une. La seconde chose que les littérateurs philosophes oublient quelquefois, c’est que la vérité, quand elle contredit l’opinion commune, ne saurait s’annoncer avec trop de réserve pour éviter d’être éconduite ; c’est déjà bien assez pour risquer d’être mal reçue, que d’être une vérité nouvelle. Les préjugés, de quelque espèce qu’ils puissent être, ne se détruisent point en les heurtant de front. Que le soleil vienne éclairer tout à coup les habitans d’une caverne obscure, qu’il darde impétueusement ses rayons dans leurs yeux non préparés, il ne fera que les aveugler pour jamais ; il fera pis encore ; il leur rendra pour jamais odieux l’éclat du jour, dont ils ne connaîtront que le mal qu’il leur aura causé. C’est en se montrant peu à peu que la lumière se fait sentir et aimer ; c’est en avançant par degrés insensibles, qu’elle en fait désirer une plus grande.