Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, IV.djvu/332

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Dirigée par ces vues, la compagnie avertit ceux qui prétendent aux prix, qu’ayant jusqu’ici plus incliné à l’indulgence qu’à la sévérité, elle se sent plus disposée désormais à la sévérité qu’à l’indulgence ; parce que l’art d’écrire, soit en vers, soit en prose, est mieux connu, quoique peut-être il ne soit pas mieux pratiqué ; parce qu’il y a parmi les jeunes auteurs plus d’un talent qui s’annonce avec avantage, et qui, pour aller au grand, a plus besoin de la vérité que de la flatterie ; parce que l’Académie voudrait, s’il était possible, par le mérite des ouvrages couronnés, dédommager un peu la littérature des rapsodies qui l’inondent et qui l’avilissent ; enfin, parce que la sévérité des juges peut écarter du concours ceux qui ne sont pas faits pour la soutenir, et qu’elle sera en même temps, pour les écrivains distingués, la source d’un triomphe plus éclatant et plus durable. En leur restituant une couronne, dont le délai est plus honorable qu’affligeant pour eux, nous leur appliquerons avec plaisir les deux vers qu’adressait à Racine ce même Despréaux, qu’on ne saurait trop citer en matière de goût :

Et peut-être ta plume aux censeurs de Pyrrhus
Doit les plus nobles traits dont tu peignis Burrhus.

Mes confrères désirent que je n’oublie pas quelques autres avis, nécessaires à ceux qui concourent. Plusieurs font recommander leurs productions à l’attention des juges, déguisant sous ce terme honnête la faveur qu’ils n’osent solliciter. Ils devraient savoir que ces recommandations sont pour le moins fort inutiles, et que la compagnie apporte une égale attention à tous les ouvrages qu’on lui présente, protégés ou non protégés, recommandés à son examen, ou abandonnés à leur mérite.

Il en est d’autres qui, n’ayant pas obtenu le prix, voudraient que l’Académie leur apprît en détail ce qu’elle a pensé de leur ouvrage : on leur a déjà répondu qu’elle promet de faire justice à ce qu’on lui envoie, mais non pas de s’en souvenir quand le jugement n’a pas été favorable. D’ailleurs, la plupart des pièces qu’elle est forcée de rejeter, ne lui laissent, à son grand regret, aucune espérance de pouvoir un jour dédommager les auteurs ; l’examen détaillé qu’ils désirent ne serait donc ni profitable pour eux, ni consolant pour elle. A l’égard de ceux qui peuvent se promettre plus de succès, elle les invite à lire et à méditer les bons ouvrages, soit en vers, soit en prose : c’est là qu’ils apprendront à juger les leurs.