Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, IV.djvu/74

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tempérance et ses autres vertus. Son corps, avant d’être brûlé, fut exposé nu dans la place publique d’Antioche, destinée à sa sépulture. Il est incertain si l’on y reconnut des marques de poison. On en parla diversement, selon l’intérêt qu’on prenait à Germanicus et les soupçons dont on était prévenu, ou selon l’amitié qu’on avait pour Pison.

Agrippine, quoique malade et épuisée de douleur, forçant tout ce qui retardait sa vengeance, s’embarque avec les cendres de Germanicus et ses enfans. Chacun s’attendrissait sur cette princesse, qui, un moment auparavant, partageant la gloire et le rang de son époux, recevait les hommages d’une cour nombreuse, et qui maintenant tenait embrassés les tristes restes de ce qu’elle aimait, peu sûre de le venger, inquiète pour elle, et malheureuse par sa fécondité même (45), qui multipliait les objets de sa douleur. Pison apprend dans l’île de Cos la mort de Germanicus. Transporté de cette nouvelle, il court indécemment aux temples, et sacrifie des victimes ; Plancine, encore plus effrontée, quitta le deuil de sa sœur, pour marquer, même par ses habits, sa joie insolente.

Les centurions venaient en foule assurer Pison que l’armée lui était favorable ; qu’il fallait retourner dans une province sans chef, d’où il était injustement chassé. « Il délibéra. M. Pison, son fils, fut d’avis qu’il se rendît à Rome sans délai ; qu’il n’était pas encore perdu ; qu’il ne fallait pas redouter des soupçons vagues et de vains bruits ; que ses différends avec Germanicus le rendraient peut-être odieux, jamais criminel ; que la perte de sa place satisferait ses ennemis ; mais que s’il retournait en Syrie, il faudrait combattre Sentius, et commencer une guerre civile ; qu’il n’aurait pas long-temps pour lui les centurions et les soldats, chez qui l’emporterait le souvenir récent de leur général, et l’amour gravé dans leurs cœurs pour les Césars. »

Domitius Celer, son intime ami, soutint au contraire « qu’il fallait profiter des conjonctures ; que la Syrie, l’autorité du préteur, les faisceaux, les légions étaient confiées à Pison, non à Sentius ; qu’étant lieutenant de l’empereur, et chargé de ses ordres, il serait plus en droit de s’opposer aux mouvemens ; qu’il fallait laisser aux faux bruits même le temps de vieillir ; que souvent l’innocence avait succombé sous les premiers efforts de la haine : mais que s’il se rendait redoutable à la tête des troupes, le hasard amènerait des circonstances heureuses et imprévues. Nous presserons-nous (46) d’arriver à Rome avec les cendres de Germanicus, afin qu’à cette nouvelle une aveugle populace, soulevée par les pleurs