Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, IV.djvu/84

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défendre sa liberté, et pour se réunir contre les factions du sénat. On créa les décemvirs ; et des meilleures lois connues et rassemblées, on composa celle des douze tables. Ce fut le dernier code juste. Les lois qui suivirent furent à la vérité quelquefois établies contre le crime ; mais plus souvent par la violence, par la dissension des ordres de l’État, pour envahir les honneurs, pour chasser de bons citoyens, ou pour d’autres motifs odieux. De là les troubles excités dans le peuple par les Gracchus et les Saturninus ; les largesses de Drusus au nom du sénat ; nos alliés corrompus par des promesses, ou joués par l’opposition qu’on y mettait. Cependant, malgré la guerre d’Italie et la guerre civile, on fit encore beaucoup de lois. Le dictateur Sylla abolit ou changea les anciennes et en ajouta plusieurs. Après lui, elles cessèrent un moment ; mais bientôt on vit les requêtes violentes de Lépide, et la licence rendue aux tribuns de remuer le peuple à leur gré. Alors non-seulement le besoin de l’État, mais chaque particulier fut un objet de lois, et la corruption en augmenta le nombre.

Pompée, dans son troisième consulat, choisi pour corriger les mœurs, employa des remèdes pires que les maux, fit des lois, les abolit, et perdit par les armes ce qu’il avait conservé par les armes. De là vingt ans de troubles ; plus de règle, plus de justice, le crime impuni, et souvent la vertu opprimée. Enfin Auguste, consul pour la sixième fois, et affermi dans son pouvoir, anéantit les ordonnances du triumvirat, et nous donna, par ses lois, la paix et la monarchie.

Portrait de Salluste, neveu de l’historien.

Salluste, l’un de nos plus célèbres historiens, avait, en l’adoptant, donné son nom à Crispus, petit-fils de sa sœur, et issu d’une famille de chevaliers. Quoique la route des honneurs lui fût ouverte, il prit Mécène pour modèle ; et sans même entrer au sénat, surpassa en crédit plusieurs consulaires ou triomphateurs. Très-éloigné des mœurs antiques par la recherche de sa parure et par une aisance opulente qui approchait du luxe, il était pourtant homme de tête, et d’autant plus propre aux grandes affaires, qu’il couvrait son activité par le sommeil et la paresse. Du vivant de Mécène, il fut le second confident du prince ; devenu ensuite le premier, il eut le secret du meurtre d’Agrippa Postumus. Sa faveur, sur le déclin de l’âge, fut plus apparente que réelle ; Mécène avait eu le même sort ; soit fatalité, qui mine à la fin un grand crédit ; soit que le maître se dégoûte de n’avoir plus à donner, ou le courtisan de n’avoir plus à désirer.