Page:D’Archiac - Introduction à l’étude de la paléontologie stratigraphique - Tome 1.djvu/358

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vert le continent de l’Europe jusqu’à 1500 toises au-dessus du niveau de la mer actuelle, puisqu’on trouve des coquilles et d’autres productions marines dans les Alpes et dans les Pyrénées jusqu’à cette même hauteur. On a les mêmes preuves pour les continents de l’Asie et de l’Afrique ; et même dans celui de l’Amérique, où les montagnes sont plus élevées qu’en Europe, on a trouvé des coquilles marines à plus de 2000 toises de hauteur au-dessus du niveau de la mer du Sud. Il est donc certain que dans ces premiers temps le diamètre du globe avait deux lieues de plus, puisqu’il était enveloppé d’eau jusqu’à 2000 toises de hauteur. »

On voit, d’après ce passage, que notre grand naturaliste, ou ne connaissait pas les opinions déjà émises en Italie, en Allemagne et en Angleterre sur le mode de formation des montagnes, ou bien croyait n’en devoir tenir aucun compte ; aussi suppose-t-il que les eaux de la mer s’étant graduellement abaissées pour remplir les profondeurs résultant de l’affaissement des cavernes dont les voûtes ne pouvaient supporter le poids des terres et des eaux qui les chargeaient, les coquilles les plus anciennes et d’espèces perdues sont celles que l’on rencontre aujourd’hui aux plus hautes altitudes, ce qui, nous le verrons, est bien loin d’être exact. En outre, Buffon oublie de remarquer qu’une augmentation de 1000 mètres, qu’il attribue ainsi gratuitement

    les plus récentes résultant de recherches très-précises, plus de deux millions d’années pour accumuler dans le golfe du Mexique une quantité de sédiments égale au volume précité. Le Gange, suivant des évaluations semblables, n’exigerait que 575,000 ans pour produire le même résultat (a).

    Remarquons actuellement que, dans la coupe de la falaise de South-Joggins, tout prouve que les dépôts se sont formés de la manière la plus régulière, sous une faible profondeur d’eau, à très-peu près constante. Il n’y a aucune trace de perturbations locales, aucune apparence de transport violent ou de sédimentation plus rapide et plus tumultueuse dans un moment que, dans un autre ; aucune faille importante, aucun plissement postérieur n’est venu déranger, masquer ou compliquer les rapports primitifs très-simples de toutes ces couches où a régné l’ordre le plus parfait jusqu’au mouvement général qui est venu les incliner en masse, tels qu’on les voit aujourd’hui.

    Or, pour produire untel résultat, il a fallu de toute nécessité qu’un abaissement vertical de plus de 1000 mètres eût lieu graduellement, sans trouble, sans perturbation notable aux environs. En admettant que cet abaissement ait été réparti dans un laps de 575,000 ans, la proportion donnerait 1 m 20 par siècle, mouvement comparable à celui qu’éprouvent certaines côtes de nos jours et tout à fait insensible pour les habitants de ces pays. Si l’on se basait, au contraire, sur le charriage du Mississipi, l’amplitude de l’oscillation séculaire ne serait que de 0 m 15. Quant à la totalité de l’abaissement pendant cette longue période, on voit qu’il a été à peu près égal à la hauteur actuelle du Mont-Blanc au-dessus de la mer, et qu’il a fallu ensuite un soulèvement de la même amplitude pour amener les choses dans l’état où nous les voyons.

    Mais nous devons faire remarquer ici que quelque considérables que puissent paraître les nombres que nous avons rapportés d’après les évaluations du célèbre géologue anglais, ils sont encore, au moins sous certains rapports, au-dessous de la vérité, car il a omis un élément fort essentiel dans la question et dont la prise en considération doit allonger singulièrement la période, savoir, le temps exigé pour le développement de chaque végétation qui a donné lieu à un lit de charbon. On sait par des expériences directes et les calculs auxquels elles ont donné lieu qu’un hectare de forêt d’une haute futaie de 100 ans, réduite à l’état de bouille, ne produirait qu’une couche de 15 millim. d’épaisseur, ce qui permet de juger du nombre d’années qu’il faudrait ajouter aux chiffres précédents pour que l’appréciation de la durée de la période fût complète. Quoi qu’il en soit, on doit reconnaître que la nature étudiée attentivement nous offre elle-même de précieux chronomètres pour mesurer le temps qu’elle met à accomplir ses œuvres, chronomètres d’une marche si lente que les plus petites fractions de ses unités sont représentées par des siècles de végétation.

    (a) Si l’on supposait que la houille s’est formée à la manière des tourbes de nos jours, les nombres indiqués seraient encore plutôt au-dessous qu’au-dessus de la probabilité.