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L’ENFANT

prince l’avoine de son pauvre champ, et l’onagre, le cou penché, l’avala jusqu’au dernier grain. Les hautbois et la flûte longue chantaient toujours. L’enfant, sans étriers, sauta sur sa bête, et on vit s’approcher le second paysan, le vigneron de misère. Alors, tandis que les musiques passionnaient en force, que les vieux soldats levaient leurs guidons, et que les femmes, à corbeilles, semaient des roses, un orage de voix patoises jaillit de la foule émue, s’arracha des gorges, monta, éclata dans l’air en tourbillons d’aigles, et vingt mille yeux noirs, brouillés et luisants de pleurs, observèrent de loin le prince… Lentement, avec joliesse et noblesse, répétant signe à signe la leçon sacrée, l’enfant prit l’épée neuve, la plongea dans le broc de vin, l’en retira ruisselante, — l’éleva d’abord vers le peuple, puis vers l’armée, ensuite vers les dames, assurant ainsi à la foule, par ces gracieuses images, qu’ils venaient de faire un pacte commun, de maisonnée, qui l’obligeait comme roi futur, par le galop et le glaive, à donner la justice aux âmes, l’ordre aux villes, la paix aux champs, et de rendre au peuple, en centuple, les vendanges et les moissons dont il avait reçu l’hommage. Le soleil tomba sur ce dernier geste, l’enfant remit l’épée au fourreau ; — et après ce coup, saluant le roi et la reine qui sourirent, émancipé par ces symboles, un tison dans l’œil et bravant en selle plus que dix-huit, il partit avec les gendarmes pour faire le tour de sa Gascogne.