Page:D’Esparbès - Le Roi (1910).djvu/86

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
66
LE ROI

espoirs, les haines, les révoltes s’avertirent à travers son nom, il les devina. Mille solliciteurs qui escomptaient l’aventure supplièrent ce prince de quinze ans déjà gaillard, assez fort pour coiffer morion, porter rondache, et dont le poing s’impatientait sur l’épée. Quand Jeanne le vit à bout, excité à l’action par le pays même, lorsqu’elle sentit qu’allait enfin sonner l’heure, et qu’il l’attendait, bouillonnant, la main sur les rênes, prête déjà…, sans háte, elle le retira au château de Pau, lui fit la peinture désolée de France, lui marqua son rôle, en traits courts qui désignaient au prince une place modeste, en attendant que le sort, s’il le méritait, la lui fit meilleure, l’arma, lui montra la chemise d’Antoine de Bourbon son père, toute sanglante, et le matin de son départ, pendant que les gentilshommes qui devaient le suivre organisaient le bagage, l’amena solennellement à la grand’chambre où il était né.

À peine fut-elle ouverte que le jeune homme, muet, s’immobilisa sur le seuil ; il ne la reconnaissait plus…


Trois métiers à tapisserie, de haute-lisse, y étaient seuls installés. Rien n’y manquait : la chaine verticale comme une immense harpe de fils blancs, les bâtons de croisure et le peigne d’ivoire qui devait servir à tasser, puis à égaliser le tissu. Autour de ces trois métiers, épars dans la grande salle, mille pelotons de laine gisaient en multicolores tas rouges, bleus, vermeils ; il y