Page:D’Haussonville - Souvenirs et mélanges.djvu/19

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jours en augmentant. « Quel homme ! » répétait-il en apprenant, successivement, la défaite des armées ennemies à Marengo, à Ulm, à Austerlitz, quel homme !… »

Mais rien n’égala son étonnement après Iéna. Comme tous les militaires de l’ancien régime, il avait une foi superstitieuse dans la tactique et la valeur de l’armée prussienne formée à l’école du grand Frédéric ; il avait pensé qu’elle résisterait mieux qu’aucune de celles auxquelles Bonaparte avait eu affaire jusqu’alors. Il était au lit, malade de la maladie dont il mourut, quand la nouvelle de la déroute des Prussiens à Iéna arriva à Paris. Il s’en fit lire tous les détails par mon père dans les gazettes du jour. « Ah ! quel homme ! quel homme ! répéta-t-il encore une fois, et quel dommage, monsieur mon fils, que ce ne soit pas le légitime ! N’importe ! cela ne durera pas ; le vrai roi reviendra. » C’était exactement, et à peu près dans les mêmes termes, le vieux refrain des jacobites sous Cromwell : « The King will enjoy his own again. » Mon grand-père mourut à Gurcy le 1er novembre 1806.

Ma grand’mère, du vivant de son mari, lui avait été aveuglément soumise. Sans autorité et sans initiative dans la maison, elle fut mise par lui en jouissance de toute sa fortune, et prit, à sa mort, le gouvernement de son intérieur. Au dehors et en apparence rien ne fut changé. Tout le fut au fond. Ma grand’mère était très-bonne, d’une parfaite égalité d’humeur, mais faible