Page:D’Haussonville - Souvenirs et mélanges.djvu/61

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dans ma Cour, près de moi, les anciens émigrés, les membres du Comité de salut public et les régicides, car vous avez voté la mort de Louis XVI, vous, Cambacérès, quoique vous vous en défendiez, mais je sais bien ce qu’il en est. Et je permettrais, moi, que pour arrondir ses périodes un lettré vaniteux vienne compromettre les heureux résultats de ma poétique. Les ingrats et les sots ! Ils ne se rendent pas compte de ce qu’ils font ; ils ne comprennent rien au rôle qui m’est échu. Les royalistes ont toujours leur Henri 1V à la bouche. Henri IV, c’est moi ! Ma situation est toute pareille à la sienne ; je refais ce qu’il a fait, et dans des temps plus difficiles, et mieux que lui peut-être, quoique ce fût un prince très-habile. Il était placé entre les ligueurs et les protestants, comme je le suis entre les révolutionnaires et les gens de l’ancien régime. Quand il faisait quelque chose pour ses anciens coreligionnaires : « Voyez, disaient les ligueurs, il est resté huguenot. » S’il accordait quelque faveur à des catholiques : « Il a oublié ses vieux et vrais amis, » s’écriaient Duplessis Mornay et ses premiers compagnons d’armes. J’ai affaire à des difficultés toutes semblables. On se tait, ou l’on récrimine à huis clos parce que je ne laisse pas parler si haut. Mais j’entends très-bien ce qu’on n’ose pas dire ; je sais à quoi m’en tenir, et si je ne leur faisais pas la loi, ces gens-là se dévoreraient entre eux, car les passions qui dorment au fond des