Page:D’Hervilly - Caprices, 1877.djvu/390

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Et l’infortuné fruit, malingre, de race vulgaire, sans éducation, sentant l’âme lui tomber dans les pépins, répondait en se troublant, en pataugeant ; elle inventait des choses pour tâcher de satisfaire son impassible interrogateur, puis elle essayait de les retirer en s’apercevant avec effroi qu’elle venait d’aggraver son cas bien inutilement.

Enfin la pomme était savamment pelée, que dis-je ! écorchée vive, d’un pôle à l’autre, puis ouverte en deux, puis ses pépins lui étaient arrachés du cœur. Le magistrat triomphait.

Et c’était l’instant suprême. Adieu, la coupe de porcelaine ! adieu les amies qui vivront encore jusqu’au lendemain ! adieu tous ! — il fallait mourir.

L’échafaud buccal l’attendait. La toilette était terminée !

La grenouille ouvrait froidement, large comme un sac de nuit, sa bouche pleine de ténèbres, et, en trois morceaux, la chère petite pomme y disparaissait. Et un instant après, l’appétit des hommes était satisfait.

Ainsi chaque soir, se terminait la lutte défensive qu’entreprenait contre un magistrat retors une pomme purement innocente.