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LE VERGER

d’être insociable. Tenir le coup, se disait-il, me plier comme Maurice à une discipline mondaine qui me sera nécessaire dans la vie. Il se rappelait les sermons du Père Dreux, au collège, et les petits coups de couteau, comme le Père Dreux sait en donner, dans ce qu’il appelait le narcissisme des jeunes gens.

Jacques avait pensé à un condisciple plus âgé, Saint-Denis, une espèce de poète, tout entier occupé de lui-même et puisant dans ses richesses subconscientes, comme il disait, des sonnets, des élégies et la prose sans retenue de son journal. Les camarades de Saint-Denis répétaient : « Depuis un an, on ne le reconnaît plus. » Et d’autres : « C’est un ours ! » Saint-Denis n’est pas un gars que l’on puisse entraîner. Jacques le respecte. Et ce respect, pour une bonne part, est une concession à des manies inconnues dont, à sa plus grande confusion, Jacques se sent capable. Il ne dédaignerait pas de ressembler à Saint-Denis. Pendant longtemps, Jacques a craint le ridicule, le dégoût d’une âme en contact perpétuel et exclusif avec elle-même, une vie racornie. N’est-ce pas inhumain de se complaire dans la tristesse comme il fait depuis quelques jours ? Mais le moyen de ne pas s’affliger quand on sent menacé de partout le peu de bonheur réfugié au fond de soi-même ? Le coup viendra, c’est sûr, seulement on ne sait d’où.

Jacques demeurait penché sur son lit. C’était un garçon qui avait poussé trop vite et dans tous les sens. Au premier abord on aurait cru que le système nerveux s’était développé aux dépens de la musculature. Mais il suffisait de voir Jacques à la nage les jours de gros temps, à l’aviron sur le fleuve ou sac au dos sur les