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LE VERGER

clairement les profits et pertes. Qui sait si le premier coup d’œil dont Lucien Voilard avait toisé le Verger n’empruntait pas sa pâleur blonde et glacée à des calculs mesquins d’inventaire ? On pourrait comparer Lucien à Monsieur Angers, le père de Noël, ce constructeur qui ne sort jamais de chez lui sans fourrer son pied-de-roi dans sa poche. Voilard se contenterait-il d’une entente de compte à demi ? Au fond, le bon sens de l’oncle Paul est court ; tripler la production ou les revenus d’une manufacture ne crée pas automatiquement du bonheur pour les actionnaires. L’oncle Paul, avec sa générosité étourdie de jeune prince, et Lucien Voilard, dansent du même pas ; gare au croc-en-jambe !

L’oncle Paul ajouta en ronchonnant :

— Tu jettes de l’émotion dans une affaire où il faut voir des faits, tu brouilles tout. Tu peux te fier à la sagesse de ton père et à la mienne. D’ailleurs Monique ne recule pas, que je sache, et Monique est une femme de jugement.

Jacques pense : À dire juste, elle hésite quand il n’est plus temps.

Ils arrivaient au Verger. Monique sur la véranda les regardait descendre. Ce regard grignotait Jacques au cœur ; un jour, devant les caresses de Madame Richard à André, il avait ressenti ce mordillement que l’on terre au fond de soi.

L’oncle Paul demanda :

— La maison blanche est ouverte, près du phare ; j’ai vu un jardinier. Sais-tu qui l’occupe ?

Jacques n’attendit pas la réponse et chercha l’ombre du Verger.