Page:Dablon - Le Verger, 1943.djvu/51

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La fiancée d’un soldat du Royal-Roussillon tué au combat découvrait le cadavre du jeune troupier, sur la berge, et se précipitait dans l’abîme, qui la recélait à jamais ; les soirs de brume, son ombre errait, navrée, dans l’anse de Saint-Pierre.

On parla lecture. Estelle et Louise en étaient à Delly.

Ils franchirent le ruisselet sur des schistes noirs fichés dans l’eau claire, et descendirent par le chemin de traverse et la pinède. Un vieux paysan, qui butait des pommes de terre, les entretint quelques instants dans son langage poli, incorrect et d’une forte saveur terrienne.

Quelques jours plus tard, le jeune homme portait à la Saulaie des livres de Pesquidoux, le Chien d’Or, l’Île d’Orléans de Pierre-Georges Roy. Madame Beauchesne examina les volumes ; elle guignait par-dessus les feuillets l’expression amusée de Jacques. Elle déclara, en retirant ses lunettes, qu’elle parcourrait les principaux chapitres avant d’en permettre la lecture à ses filles. Monsieur Beauchesne, dans un fauteuil bas sur pattes, pliait son journal :

— Ma femme se défie moins des musiciens que des poètes ; c’est la même engeance au fond. Sais-tu, jeune homme, que ma femme est un Prix d’Europe ?

— Est-ce que vous aimez la musique, Jacques ? demandait Madame Beauchesne. Je ne parle pas de la musique moderne ; je n’en saisis encore rien de rien.

— Votre question m’embarrasse, Madame. Je vous avoue que j’en suis encore aux valses de Strauss ; mais je pourrais faire mieux, beaucoup mieux.