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Chapitre II

De la véritable fonction de l'argent, en tant que monnaie. -- Fausses idées répandues dans le monde sous ce rapport. -- La monnaie fait circuler la richesse, mais ne la produit pas. -- Les métaux précieux ne sont pas nécessairement la matière de la monnaie. -- Comment on s'est passé de l'or et de l'argent et comment aujourd'hui même le crédit les remplace. -- Les foires de Lyon, et le commerce fait à l'aide seule du papier.

Le ciel n'est pas si éloigné de la terre qu'il se trouve de distance entre la véritable idée que l'on doit avoir de l'argent, et celle que la corruption en a établie dans le monde, et qui est presque reçue si généralement, qu'à peine l'autre est-elle connue, quoique cet oubli soit une si grande dépravation, qu'elle cause la ruine des États, et fait plus de destruction que les plus grands ennemis étrangers pourraient jamais causer par leurs ravages.

En effet, l'argent, dont on fait une idole depuis le matin jusqu'au soir, avec les circonstances que l'on a marquées, et qui sont trop connues pour être révoquées en doute, n'est absolument d'aucun usage par lui-même, n'étant propre ni à se nourrir, ni à se vêtir ; et nul de tous ceux qui le recherchent avec tant d'avidité, et à qui, pour y parvenir, le bien et le mal sont également indifférents, n'est porté dans cette poursuite qu'afin de s'en dessaisir aussitôt, pour se procurer les besoins de son état ou de sa subsistance.

Il n'est donc tout au plus et n'a jamais été, qu'un moyen de recouvrer les denrées, parce que lui-même n'est acquis que par une vente précédente de denrées, cette intention étant généralement tant dans ceux qui le reçoivent que dans ceux qui s'en dessaisissent ; en sorte que si tous les besoins de la vie se réduisaient à trois ou quatre espèces, comme au commencement du monde, l'échange se faisant immédiatement et troc pour troc, ce qui se pratique même encore en bien des contrées, les métaux aujourd'hui si précieux ne seraient d'aucune utilité.

Il n'y a même aucune denrée si abjecte, propre à nourrir l'homme, qui ne lui fût préférée, en quelque quantité qu'elle se rencontrât, s'il était absolument défendu ou impossible au possesseur de s'en dessaisir, ce qui le réduirait bientôt au même état que le Midas de la fable.

Ce n'est donc que comme garant tout au plus des échanges, et de la tradition réciproque, qu'il a été appelé dans le monde, lorsque la corruption et la politesse ayant multiplié les besoins de la vie, de trois ou quatre espèces qu'ils étaient dans son enfance, jusqu'à plus de deux cents où ils se trouvent aujourd'hui ; ce qui fait que n'y ayant pas moyen que le commerce et le troc s'en fassent de main à main, comme dans ces temps d'innocence ; et le vendeur d'une denrée ne trafiquant pas le plus souvent avec le marchand de celle dont il a actuellement besoin, et pour le recouvrement de laquelle il se dessaisit de la sienne, l'argent alors vient au secours, et la recette qu'il en fait de son acheteur