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CHAPITRE II.

Voyage de Mgr Bruguière. — Souffrances et privations qu’il endure.


« Le 25 juillet 1832, j’appris que j’étais nommé vicaire apostolique de la Corée. Je ne songeai plus dès lors qu’à un départ très-rapproché.

« Cependant la saison était avancée ; un vaisseau sur lequel j’avais compté d’abord et qui devait me prendre gratis, ne paraissait pas ; tous les capitaines me demandaient mille et même douze cents francs pour mon passage de Singapour à Macao seulement, encore fallait-il payer d’avance. Où prendre une somme aussi forte ? je ne possédais pas un centime, et ne trouvais personne pour me prêter. Cependant M. Dorat, un des chrétiens qui me servaient avec un grand zèle, se donna tant de soins, qu’il obtint d’un capitaine anglais de me prendre à son bord jusqu’à Manille pour cent piastres. M. Clemenceau, mon confrère, en se gênant beaucoup, me les avança. J’avais pour compagnon de voyage un jeune Chinois, élève du séminaire de Pinang. Comme ce jeune homme joue un grand rôle dans ma relation, il est bon que je le fasse connaître : son nom est Joseph. Avant qu’il fût question de la Corée, il était sorti du collège pour cause de maladie. M. Chastan me l’avait proposé pour être catéchiste des Chinois de Pinang. Il était pieux, connaissait bien les caractères et pouvait m’être très-utile ; mais je n’aurais point osé penser qu’il se décidât à me suivre. Cependant, quand je partis de Singapour, il voulut absolument m’accompagner. Étonné d’une pareille résolution : « Savez-vous où je vais ? lui dis-je ? — Oui, je le sais. — Il paraît bien cependant que non : car je ne vais point en Chine, je suis envoyé dans une contrée plus éloignée et bien plus dangereuse encore. Si vous vous obstinez à venir, il est très-probable que dans peu de temps on vous mettra à mort ; faites là-dessus vos réflexions. — Je suis instruit de tout, me répondit-il, vous allez en Corée ; et je suis disposé, avec la grâce de Dieu, à m’exposer aux périls qu’offre cette mission. Après tout, donner sa vie pour Dieu est une destinée plutôt à désirer qu’à craindre. » Charmé d’une telle réponse, je voulus cependant l’éprouver ; je fis examiner sa vocation par différentes personnes, soit à Singapour, soit à Macao ; il ne