Page:Dante - L’Enfer, t. 2, trad. Rivarol, 1867.djvu/129

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pied, et ne viens pas ici fouler les têtes de tes malheureux frères.

Je me tourne à ces mots, et je découvre un lac glacé qui s’étendait devant moi comme une mer de cristal. Jamais le Danube et le Tanaïs, sous leur zone de glace et dans l’hiver le plus rigoureux, ne chargèrent leur lit de voiles si épais : aussi les monts Tabernick et Pietrapana seraient en vain tombés sur la voûte du lac : elle n’eût point croulé sous leur masse [3].

Je vis ensuite des ombres livides, enfoncées jusqu’au cou dans la glace, comme des têtes de grenouilles, qui dans les nuits d’été bordent les marécages ; et j’entendis le cliquetis de leurs dents, comme on entend claquer le long bec de la cigogne. Tous ces coupables se tenaient la face baissée ; mais la fumée de leur haleine et les pleurs de leurs yeux témoignaient assez quel était pour eux l’excès du froid et de la douleur [4].

En ramenant mes regards de la surface du lac à mes pieds, j’aperçus deux têtes de coupables, opposées front à front, et dont les cheveux s’étaient entremêlés.

— Qui êtes-vous, leur criai-je, malheureux qui vous pressez ainsi face à face ?

À ce cri, les deux têtes se renversèrent pour mieux m’envisager : mais les larmes dont leurs paupières étaient gonflées, s’échappant tout à coup avec abondance, coulèrent sur