Page:Dante - L’Enfer, t. 2, trad. Rivarol, 1867.djvu/140

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qu’une faible lueur eut pénétré dans le cachot, je me mis à considérer leurs visages l’un après l’autre ; et c’est alors que je vis où j’en étais moi-même. Transporté, forcené de douleur, je me mordis les bras ; et mes fils croyant que la faim me poussait, m’entourèrent en criant : « Mon père, il nous sera moins dur d’être mangés par toi : reprends de nous ces corps, ces chairs que tu nous as données. » Je m’apaisai donc pour ne pas les contrister encore ; et ce jour et le jour suivant nous restâmes tous muets. Ah ! terre, terre, que n’ouvris-tu tes entrailles !…. Comme le quatrième jour commençait, le plus jeune de mes fils tomba vers mes pieds étendu, en disant : « Mon père, secours-moi. » C’est à mes pieds qu’il expira ; et tout ainsi que tu me vois, ainsi les vis-je tous trois tomber un à un, entre la cinquième et la sixième journée : si bien que, n’y voyant déjà plus, je me jetai moi-même, hurlant et rampant, sur ces corps inanimés ; les appelant deux jours après leur mort, et les rappelant encore, jusqu’à ce que la faim éteignît en moi ce qu’avait laissé la douleur.

Ainsi parlait cette ombre, tordant les yeux, et reprenant avec voracité le malheureux crâne qui se rompait sous l’effort de ses dents.

Ah ! Pise, opprobre de la belle Italie, puisque tes voisins sont lents à te punir, puissent