Page:Dante - L’Enfer, t. 2, trad. Rivarol, 1867.djvu/31

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mais je n’apercevais que d’énormes bouillons qui se gonflaient avec effort et s’affaissaient lentement sur son épaisse surface.

Ce spectacle m’occupait encore quand tout à coup mon guide s’écria : « Prends garde, » me saisissant et me tirant à lui ; et moi je tournai la tête avec précipitation, comme un homme emporté par l’effroi, et je vis accourir un ange de ténèbres qui montait vers le pont, et s’avançait après nous. Ciel, quel aspect ! Il agitait effroyablement ses ailes, en bondissant sur la roche escarpée ; et sur sa robuste épaule il portait légèrement un malheureux qu’il retenait par les pieds, et dont la tête pendait en arrière.

Des hauteurs où nous étions, il cria fortement :

— Compagnons, voici un des anciens de Lucques ; recevez-le, car je retourne à cette terre qui n’en manque pas : là, tout homme est à vendre, excepté Bonture [2] ; et pour de l’or, tout y est blanc ou noir.

Aussitôt, jetant sa proie au fond de la vallée, il repasse, et franchit encore ces durs rochers avec plus d’ardeur qu’un dogue acharné sur les pas des brigands.

Cependant le réprouvé, qui d’abord s’était englouti dans la poix bouillante, reparut bientôt au-dessus ; mais les noirs esprits qui voltigeaient sous la voûte du pont lui crièrent :

— Ne cherche pas ici la sainte face : te voilà