Page:Dante - L’Enfer, t. 2, trad. Rivarol, 1867.djvu/51

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Je m’arrêtai, et j’en vis deux qui montraient bien sur leurs visages le pénible désir qu’ils avaient de me joindre ; mais leur pesante charge et l’âpreté du sentier retardaient leurs efforts.

Lorsqu’ils furent enfin devant moi, ils me regardèrent longtemps d’un oeil troublé, et, se tournant l’un vers l’autre, ils se disaient :

— Celui-ci me paraît vivre encore, au mouvement de ses lèvres ; car s’il était mort, par quel bonheur irait-il ainsi à la légère ?

Ensuite élevant la voix :

— Ô Toscan, me dirent-ils, qui viens te mêler à la triste assemblée des hypocrites, ne refuse pas de nous dire qui tu es !

— Je suis né dans la grand’ville, répondis-je, et j’ai bu dans les claires eaux de l’Arno. Vous voyez devant vous ce corps que j’eus toujours au monde ; mais apprenez-moi qui vous êtes, vous dont les yeux éteints et les joues caves s’abreuvent de tant de larmes : dites quels sont les maux dont vous donnez des marques si douloureuses ?

Un d’eux me répondit :

Ces chapes dorées que tu nous vois sont d’un plomb si épais, qu’elles font craquer nos membres, comme les poids font crier les ressorts et le joug des balances. Nous avons été frères joyeux, et tous deux Bolonais [4]. On nommait celui-ci Lothaire, et moi Catalan : ta république nous constitua l’un et l’autre