Page:Dante - La Divine Comédie, trad. Lamennais, 1910.djvu/141

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éternelle, a été donné le désir qui là-haut serait apaisé : je parle d’Aristote et de Platon, et de beaucoup d’autres [1]. » Et ici il baissa le front, et se tut, et demeura troublé.

Cependant nous parvînmes au pied du mont : là nous trouvâmes le rocher si roide, qu’en vain les jambes eussent été agiles.

La route la plus déserte, la plus solitaire, entre Lerici et Turbia [2], est, près de celle-ci, un escalier facile et large. « Maintenant, dit le Maître en s’arrêtant, qui sait par où la côte s’abaisse, de sorte qu’on puisse monter sans ailes ? »

Et tandis qu’il tenait la tête inclinée, examinant en esprit le chemin, et que moi en haut je regardais autour du rocher, à main gauche m’apparut une troupe d’âmes qui s’avançaient vers nous, et il ne le paraissait, tant elles venaient lentement.

— Maître, dis-je, lève les yeux : voilà là-bas qui nous donnera conseil, si tu ne le peux de toi-même.

Alors il me regarda, et d’un air assuré répondit : « Allons vers eux, car doucement ils viennent ; et toi, cher fils, raffermis en toi l’espérance. »

Cette troupe était encore, je dis quand nous eûmes fait mille pas, à la distance d’un trait de pierre lancé par une main habile quand tous se rangèrent contre les dures parois de la haute rive, et restèrent immobiles, comme qui va doutant s’arrête pour observer.

« O vous dont bonne a été la fin, esprits déjà élus, commença Virgile, par cette paix que, je crois, vous attendez tous, dites-nous où la montagne est telle que possible il soit de monter ; car perdre le temps, déplaît le plus à celui qui l’apprécie. »

Comme les brebis sortent de l’étable, une, puis deux, puis trois, et les autres se tiennent toutes timides, l’œil et le museau à terre, et ce que fait la première, les autres le font, se serrant derrière elle si elle s’arrête, simples et tranquilles, et le pourquoi elles ne le savent, ainsi vis-je se mouvoir,

  1. Virgile est lui-même de ces autres, et c’est le sujet de sa tristesse et de son trouble.
  2. Lieux situés aux deux extrémités de la rivière de Gênes ; Lerici, au levant, près de Sarzane ; Turbia, au couchant, près de Monaco.