Page:Dante - La Divine Comédie, trad. Lamennais, 1910.djvu/224

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faim vaine, qui prient, et le prié ne répond pas, mais pour aiguiser leur envie, tient haut ce qu’ils désirent, et ne le cache point. Ensuite ils partirent, comme désabusés ; et nous alors nous vînmes au grand arbre, qui rebute tant de prières et de larmes.

« Passez outre, sans vous approcher ! plus haut est l’arbre que mordit Eve, et ce plant en a été tiré. » Ainsi, entre les branches, disait je ne sais qui : par quoi arrêtés, Virgile et Stace et moi, nous prîmes du côté qui s’élève [1].

« Souvenez-vous, » disait-il, « des maudits engendrés dans les nuées, qui, rassasiés, combattirent Thésée avec des poitrines doubles [2] ; et des Hébreux qui par le boire montrèrent leur mollesse, ce pourquoi pour compagnons point ne les voulut Gédéon, lorsqu’il descendit les collines vers Madian. [3] »

Rapprochés de l’un des bords, ainsi nous passâmes, oyant les péchés de la bouche, jadis suivis de misérables gains. Puis, au large sur la route solitaire [4], bien fîmes-nous en avant mille pas, et plus, nous regardant sans parler. « Quoi pensant allez-vous ainsi, vous trois seuls ? » dit soudain une voix : d’où je tressaillis, comme tressaillent les animaux effrayés et paresseux. Je levai la tête pour voir qui c’était ; et jamais ne se vit, dans une fournaise, verre ou métal si luisant et si rouge, que l’était un qui m’apparut, et qui disait : « Si vous voulez monter, il convient de tourner ; par ici va qui cherche la paix. »

Son aspect m’avait ôté la vue : ce pourquoi je me retirai derrière mes Maîtres, comme va un homme guidé par l’ouïe. Et tel qu’annonçant l’aube, le doux vent de mai glisse, tout imprégné du parfum de l’herbe et des fleurs ; tel sentis-je

  1. L’arbre occupant le milieu de la route, les trois voyageurs, pour passer outre, prennent le côté qui s’élève, c’est-à-dire le côté où s’élève la montagne, opposé au bord extérieur.
  2. Les Centaures qu’Ixion engendra d’une nuée, qui avait l’apparence de Junon. Ils tentèrent d’enlever, pendant le festin nuptial, l’épouse de Pirithoüs, et ce fut à cette occasion que Thésée les combattit.
  3. Dans une expédition contre les Madianites, Gédéon renvoya ceux des siens qui, au lieu de puiser de l’eau et de la boire sans hâte, s’agenouillèrent sur le bord du fleuve Arad pour se désaltérer plus promptement.
  4. « Que n’encombraient plus les âmes. »