Page:Dante - La Divine Comédie, trad. Lamennais, 1910.djvu/335

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


CHANT DIX-NEUVIÈME


Devant moi paraissait, les ailes ouvertes, la belle image qui, dans le doux jouir, rendait joyeuses les âmes entrelacées [1]. Chacune d’elles semblait un rubis qu’embrasait un rayon de soleil si ardent, qu’il le réfléchissait dans mes yeux. Et ce que j’ai maintenant à retracer, jamais voix ne l’imprima, ni encre ne l’écrivit, et jamais imagination ne se le représenta.

Je vis et j’entendis aussi parler le bec, et dans la voix sonner je et moi, tandis que dans le concept était nous et nôtre [2] ; et il commença : « Parce que je fus juste et pieux, je suis ici exalté dans cette gloire, qui ne se laisse vaincre par aucun désir : et sur la terre je laissai de moi une mémoire telle que les méchants la louent, mais ne suivent pas l’exemple. »

Comme de plusieurs braises une seule chaleur se fait sentir, ainsi de plusieurs amours [3] sortait un seul son de cette image. D’où moi, ensuite : — O ! perpétuelles fleurs de l’éternelle joie, qui tous vos parfums me faites paraître un seul parfum, rompez par votre parole le grand jeune qui m’a tenu en une longue faim, n’y trouvant sur la terre aucun aliment. Bien sais-je que, si dans le ciel la divine Justice fait d’un autre royaume son miroir, elle n’est pas voilée dans le vôtre [4]. Vous savez comme attentivement je m’apprête à écouter : vous savez quel est ce doute qui m’a fait vieillir dans un si long jeune.

  1. Les âmes qui, en s’entrelaçant, avaient formé l’aigle.
  2. Telle était l’union de ces âmes bienheureuses, que, bien qu’on perçut la voix distincte de chacune d’elles, toutes ces voix ne formaient qu’une voix par le parfait accord des pensées et des volontés.
  3. De plusieurs âmes enflammées d’amour.
  4. « Je sais que si la divine Justice, si Dieu se manifeste, comme en un miroir, dans les régions inférieures du ciel, à plus fortes raisons dans la vôtre. »